Mensch – Tarifa

Mensch Tarifa 2015

Avec Tarifa, le duo Lyonnais Mensch ouvre ses fenêtres pour laisser le vent fouetter ses humeurs sombres et réussit le pari fou d’éclaircir sa cold wave métronomique sans perdre son âme.


Mensch par Sarah Bastin
Tarifa, cette ville « Au bout de tout / Au bout de rien du tout / Avec ce vent, / On ne sait pas ce qu’il nous veut / Nous faire revenir en arrière / Et nous faire tomber dans la mer ». comme le disait si justement Françoiz Breut sur son premier album. Signe que cette ville métissée et inondée de lumière, située à l’extrême Sud de l’Espagne, là où se rencontre l’océan et la mer méditerranée, inspire nombre d’artistes tant elle marque par sa beauté et son histoire.

A bien y réfléchir, on est un peu surpris d’apprendre que Mensch, duo de filles originaire de Lyon, soit à son tour tombé sous le charme de cette ville andalouse au point d’utiliser son nom comme étendard de ses huit nouvelles chansons. Car Vale Poher et Carine di Vita, les deux membres du groupe, nous avaient plutôt habitué jusqu’ici à la pénombre et à la noirceur d’une cold wave sans concession, un rock tendu et puissant qui tend vers un krautrock sensuel avec sa basse assourdissante et sa boîte à rythme implacable. Plus proche de l’ambiance d’une boite de nuit underground dans les bas fonds New-Yorkais que de celle d’une ville ouverte aux vents et à la croisée des mondes. Claustrophobes s’abstenir.

Le duo se devait d’amener un peu de lumière dans cette ambiance de fête avant l’apocalypse et c’est exactement ce qu’elles font avec Tarifa, donc, tout en gardant ce soupçon de mystère et de sentiments bruts qui ont fait le succès de leur précédent essai, paru en 2012. Il suffit d’écouter Saudade, le titre d’ouverture, pour s’en convaincre : on retrouve avec délectation ces rythmiques sèches et cette basse austère qui doit beaucoup à Peter Hook, ce mélange détonnant de new wave et de rock. Un terrain familier si ce n’est ce petit changement presque imperceptible dans le chant, qui paraît moins plaintif et plus volontaire, comme si l’heure était à la transition vers un horizon plus lumineux.

Sentiment confirmé dès l’écoute de Cosmopolitain, premier titre chanté en français, qui enfonce le clou, avec son refrain imparable et sa rythmique sautillante. Un virage pop diront les plus critiques mais réalisé avec tant de finesse et d’audace qu’il évoque plutôt les fantômes de la scène new wave française tels qu’Asylum Party ou Kas Product, plutôt flatteur en somme. Le groupe déroule sans sourciller et se fait plaisir : Push Me Away et The Great Escape témoignent qu’il n’a rien perdu de sa superbe quand il s’agit de composer des titres à la tension palpable, rappelant leurs illustres aînées, Kraut Ever ou Swim Swim, parues sur le premier album.

Tarifa, la chanson titre, accélère encore le rythme et dégage une énergie punk, spontanée et décomplexée, mise en avant avec finesse par Samuel Navel, l’ingénieur du son déjà croisé sur Ghost Surfer de Cascadeur et sur l’album aérien Atlas des Kid North. Il faut attendre After Love pour enfin reprendre son souffle et se laisser emporter par les choeurs délicats de cette ballade mid-tempo, qui rappellent ceux du Destiny de John Talabot.

Et ce n’est pas More and More, ni la plus contemplative et envoûtante Dusk, qui noirciront le tableau, d’une œuvre qui n’a pas à rougir de la comparaison avec celle d’un certain Jamie XX, que l’on imaginerait sans sourciller être un cousin lointain d’outre-Manche. Tarifa ne laisse pas tellement la place au doute, c’est l’œuvre aboutie de deux filles qui ont fait leurs armes sur scène et qui sont parvenues à capter sur disque l’énergie contagieuse et revigorante qu’elles déploient en live. Vous l’aurez compris, en fin de compte, le principal défaut de ce nouvel album, c’est sa courte durée.

Julien Adans

Mensch – Tarifa
Label: Tsunami Addiction
Sortie: 28 Août 2015