[Live Report] L’Épée à la Cigale : un super-groupe diabolique ?

Bravant le chaos des transports parisiens, nous nous sommes retrouvés à la Cigale samedi soir pour prêter allégeance au super-groupe L’Épée. A moins que ça ne soit tout simplement à nos chers Limiñanas ?

Pour ceux d’entre nous, les plus aguerris, qui se souviennent des années 70, l’existence de “super-groupes” était à l’époque un grand sujet d’hilarité : ces musiciens, souvent parvenus à un succès notable dans leur formation d’origine, qui s’acoquinaient entre eux pour monter de nouvelles structures, la plupart du temps temporaires, nous semblaient la plupart du temps ridicules, le résultat de l’accumulation de noms célèbres en une alliance improbable ne donnant dans 99% des cas qu’une musique sans intérêt. Il était facile de comprendre le besoin de retrouver un peu de liberté en dehors d’un groupe connu, voire le plaisir de s’amuser entre copains, mais pourquoi donc nous infliger ces albums informes qui résultèrent généralement de ces parenthèses pas si enchantées que ça ?

L’Épée est peut-être un super-groupe, combinant nos Limiñanas préférés, Anton Newcombe en vacances de son Brian Jonestown Massacre, et enfin Emmanuelle Seigner, qui amène au groupe son obsession pour le Velvet Underground et sa voix de chanteuse yéyé française… Mais c’est surtout l’alliance de musiciens hétérogènes décidés à tenter de faire ensemble une musique qu’ils seraient (peut-être ?) incapables de faire seuls : pour faire simple, disons que nos joyeux lurons ont décidé de poursuivre sous le format d’un véritable groupe la collaboration fructueuse entamée en 2018 pour “Shadow People”, le dernier album des Limiñanas… L’existence de l’Épée a donc créé un buzz – logique vu le profil de ses membres -, mais surtout une réelle attente de la part d’un public sevré de démarches musicales originales. Pourtant, la Cigale n’est pas totalement remplie ce soir, sans doute du fait des difficultés de transport causées par la grève massive de la RATP et de la RER qui paralyse Paris…

19h35 : You Said Strange est un quatuor de Normandie, dont la (très bonne) réputation a grandi à force d’aligner méthodiquement des concerts et des tournées. Ils se définissent comme psyché, on a eu surtout le sentiment ce soir à la Cigale d’un shoegazing inspiré, et, il est vrai, un peu plus lumineux peut-être que celui de leurs ancêtres anglais. Sans beaucoup de lumière, par contre, sur scène – sans doute pour respecter la tradition, donc… -, on est obligé de se concentrer sur la musique, ce qui est très bien, car les compositions de You Said Strange sont tout simplement excellentes, accrocheuses dès la première écoute sans être gratuitement pop. L’avant dernier titre, The Way to the Holy War (Jesus), s’avérera le plus marquant, avec une grande intensité – qui manquait peut-être un peu à certains morceaux précédents, mais l’exercice de la première partie dans une salle encore peu remplie n’est pas des plus faciles ! Sur leur site, les Normands parlent pas mal de croyance, de prières, de sainteté, de rédemption : pas forcément le genre de prêchi-prêcha qu’on a l’habitude d’entendre dans le Rock, mais bon, il faut reconnaître que nous avons là un groupe talentueux et singulier.

20h45 : La scène est joliment décorée, avec tapis au sol, lampes exotiques et surtout une splendide épée / symbole en plein centre. Il y a du monde, car en plus du quatuor emblématique de l’Épée aligné sur le devant, nous avons quatre musiciens “au second plan”, contribuant au son assez monstrueux qui sera celui du groupe. On sait qu’à la Cigale on bénéficie la plupart du temps d’un excellent son, et ce soir, ça sera parfait, avec la voix d’Emmanuelle bien audible malgré le déluge de guitares saturées (en moyenne quatre guitares en même temps, et parfois même cinq, ce qui est quand même un vrai bonheur pour les amateurs de l’instrument !).

Bon, la soirée commence progressivement avec une mise en place sur la narration de la Brigade des Maléfices, où tout ce joli monde prend ses marques. Emmanuelle, entièrement de noire vêtue, assure un show minimal au centre, se contentant d’onduler derrière son micro, et de lever les bras en guise de danse exotique : ce n’est pas vraiment grave, la grande majorité des gens dans la salle étant venus plutôt pour se faire exploser les oreilles sur une version “noise” du Velvet Underground. A droite, ce bon Anton – qui évidemment rameuté ses fans – reste caché derrière ses cheveux, et est assez discret pendant la première partie du set, mais, on va le voir, va se rattraper sur la fin. A gauche, Marie et Lionel constituent le noyau dur de la musique, ou plutôt son cœur battant, ceux qui ajoutent le petit plus d’émotion au cœur de la tempête…

Plus la soirée avance, plus le set prend de l’ampleur, avec des guitares de plus en plus impressionnantes : comme le faisait remarquer un ami, il y a une différence essentielle entre le son et le style d’Anton et ceux de Lionel, et cet écart est à même de créer un déséquilibre, mais ce soir, sans doute avec l’aide des autres guitaristes et du son puissant, une véritable osmose s’opère. Si l’on a pu regretter l’absence de Bertrand Belin sur On Dansait avec Elle, laissant Emmanuelle un tantinet exposée, il faut bien dire que l’enchaînement Shadow People / Ghost Rider est imparable, et balaie toutes les réserves que l’on a pu avoir sur le concept du groupe : si l’album “Diabolique” a quelques faiblesses, celles-ci disparaissent sur scène.

Le set se termine au bout d’un peu plus d’une heure avec une partie de guitare phénoménale d’Anton sur son Istanbul is Sleepy, le titre qu’il avait écrit pour les Limiñanas. Le bougre est désormais bien à fond, et ça fait vraiment plaisir à voir.

Rappel en forme de déluge d’électricité, avec deux instrumentaux (ou quasi…) surpuissants, Un Rituel Inhabituel et The Train Creep A-Loopin (les Limiñanas, encore…), où les deux guitares de Lionel et Anton font des merveilles. Un niveau sonore un peu plus élevé nous aurait certainement permis d’atteindre l’extase totale, mais la législation française étant ce qu’elle est, nous ne pouvons plus que rêver à ces tourments proches du cataclysme qu’un My Bloody Valentine, par exemple, savait faire naître à la fin du siècle dernier…

On se quittera donc après une heure vingt d’un concert qui a dépassé nos espérances. Les plus cyniques parmi nous n’ont pas pu s’empêcher de remarquer que les seuls vrais moments de folie dans la salle ont été provoqués par les morceaux des Limiñanas : ce n’est pas faux, mais c’est certainement négliger l’importance d’Emmanuelle au sein de ce projet original qu’est L’Épée.

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil

La setlist du concert de l’Epée :
La brigade des maléfices (Diabolique – 2019)
Une lune étrange (Diabolique – 2019)
Last Picture Show (Diabolique – 2019)
Dreams (Diabolique – 2019)
Beginning of sorrows
On dansait avec elle (Diabolique – 2019)
Grande (Diabolique – 2019)
Shadow People (The Limiñanas cover)
Ghost Rider (Diabolique – 2019)
Lou (Diabolique – 2019)
Jacob Wilkins
Shiny Shiny (Ghost Rider EP – 2019)
Istanbul Is Sleepy (The Limiñanas cover)
Encore:
Un rituel inhabituel (Diabolique – 2019)
The Train Creep A-Loopin (The Limiñanas cover)