Dans un Jardin qu’on Dirait Eternel : revenir à la vie…

Besoin de revenir à la vie, la vraie, après la furie incohérente de Tenet ? Dans un Jardin qu’on Dirait Éternel est l’une des meilleures options disponibles actuellement dans les salles : un beau film qui, malheureusement, ne remplit pas toutes les promesses de son sujet.

Un Jardin qu'on dirait éternel
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Après avoir souffert une sorte de martyre durant les deux longues heures et demie de Tenet, il nous semblait évident d’aller nous réparer et le cœur et l’âme devant Dans un Jardin qu’on Dirait Éternel, film japonais d’un réalisateur encore jamais distribué dans les salles françaises, Tatsushi Ômori. Un film calme, plutôt lent (mais pas trop, on y reviendra…), mais surtout un film qui parle de la VRAIE vie, de la seule réalité qui importe : le passage des saisons, la difficulté d’être soi-même face à la complexité des choix à faire tout au long de la vie, l’importance du rapport à l’autre et la manière dont il ne peut se fonder que sur une meilleure connaissance de soi-même. Le tout à partir d’un essai autobiographique, à peu près inadaptable, de Noriko Morishita. Et surtout le tout en confrontant une très jeune femme (au début de l’histoire) à la riche tradition japonaise, et aux rituels qui la constituent et qu’on imagine facilement menacés par l’accélération « moderne » et la dilution des cultures dans le chaudron infernal de la globalisation du commerce.

Un Jardin qu on dirait éternelDans un Jardin qu’on Dirait Éternel ne nous parlera que d’une seule chose, l’apprentissage du rituel du thé par Noriko (Haru Kuroki, parfaite…), auprès d’un « maitre », la tendre et sévère Madame Takeda. Un apprentissage qui durera 24 ans, jusqu’à ce que, enfin, « quelque chose commence… » ! Que quelque chose de fondamental ait été conquis, parce que appris, à travers l’acquisition de gestes automatiques : le pliage de la serviette, le nombre de pas pour traverser le tatami, la manière de tenir élégamment la louche… Permettant ainsi à l’esprit de s’attacher aux choses infiniment importantes de la Vie : la différence de son entre l’eau froide et l’eau chaude quand elle ruisselle, ou entre une pluie d’été et une pluie d’hiver, la lumière changeante sur le jardin du pavillon de maître Takeda.

En excluant quasi systématiquement du récit tout événement extérieur à l’apprentissage du rituel, Ômori est sans doute fidèle à l’œuvre dont il s’inspire, et illustre sa foi en les armes du cinéma : beauté de l’image et respect du son, très peu altéré par une musique heureusement parcimonieuse (même si la voix off occasionnelle est inutile…), le tout supposant une concentration du spectateur qui n’est plus si évidente à obtenir, en l’absence d’une « histoire » et d’agitation visuelle et sonore. Les rares scènes « extérieures » permettent de conférer une sorte de réalité « ordinaire » à Noriko, entre fous rires adolescents au karaoké, chaleur du foyer parental, et désillusions amoureuses et professionnelles, mais elles sont soit de trop, soit insuffisantes : Noriko n’existera jamais assez face au rituel et à Mme Takeda (Kiki Kirin, apportant avec elle le souvenir d’un beau personnage – un peu similaire – dans les Délices de Tokyo, ainsi que de sa présence dans Une Affaire de Famille de Koreeda… et malheureusement décédée depuis), et le spectateur aurait sans doute eu envie de la connaître mieux.

En trouvant finalement l’émotion via le thème – juste, mais sans doute trop évident – de la douleur causée par la perte d’un parent, et de la réalisation de ce qu’on aurait pu faire encore avec lui, Dans un Jardin qu’on Dirait Éternel révèle sa plus grande faiblesse : derrière l’indéniable fascination qu’exerce sur nous un rituel frôlant l’absurde, derrière la confirmation, assez conventionnelle, de la nécessité de retrouver une sorte de rapport attentif au monde, à la nature, le propos du film manque clairement de profondeur. On ne peut s’empêcher de penser à ce qu’aurait pu faire d’un tel sujet, tellement japonais (modernité et tradition), un cinéaste comme Ozu, mais on sent qu’on est trop injuste avec Ômori de le mesurer à un tel géant… Mais, parce que le film fait plusieurs fois référence à Fellini et à la Strada comme modèle de cinéma hautement émotionnel capable d’accompagner une personne tout au long de sa vie, on voit combien manque ici non seulement une vraie réflexion existentielle et/ou sociale (comme chez Ozu, donc), mais aussi une capacité à créer de l’empathie, et partant, à avoir un véritable impact sur le spectateur. Et pour un film qui parle de « changer sa vie en changeant son regard sur le monde », c’est là un problème.

Finalement, le plus intéressant dans Dans un Jardin qu’on Dirait Éternel, c’est bien la superbe étrangeté de ce fameux rituel du thé. Néanmoins, passées les vingt premières minutes, on dirait que Ômori s’en désintéresse largement, pour aller papillonner : allié à un déroulement beaucoup trop rapide de certaines scènes, sans même parler du passage accéléré du temps – décliné sous la forme d’un enchaînement de saisons aux jolis noms exotiques -, son absence de choix d’un véritable sujet condamne son film à la superficialité. On se dit qu’un « simple » documentaire sur le même sujet, filmé à la bonne distance et avec patience et attention, aurait certainement été plus convaincant, et infiniment plus mémorable.

Eric Debarnot

Dans un Jardin qu’on Dirait Eternel (2018)
Film japonais de Tatsushi Ômori
Avec : Haru Kuroki, Mikako Tabe, Kiki Kirin
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h40
Date de sortie en salle : 26 août 2020