[Live Report] Rock in the Barn 11ème édition : le bonheur est dans le pré…

Retour sur la journée de samedi de la onzième édition du festival Rock In The Barn, l’un des rares ayant réussi à exister en temps de pandémie, et qui nous a offert une programmation formidable, en toute sécurité…

My Expansive Awareness
My Expansive Awareness dans le cadre bucolique du festival

Félicitations aux organisateurs !

On a presque de la peine à y croire : les organisateurs de Rock In The Barn ont réussi à maintenir leur onzième édition, envers et contre tout, et, on l’imagine bien, avec l’appui de la municipalité locale. Et le programme du festival comprend même des groupes étrangers, prêts à accepter d’être mis en quarantaine à leur retour ! Et, ce qui n’est pas négligeable quand on parle de passer une grande partie de la journée en plein air dans le Vexin, la météo est quasi estivale. Pour que notre bonheur soit complet, il nous restait à espérer que le respect des règles sanitaires soit bien assuré, et là, félicitations aux organisateurs : un service d’ordre vigilant a constamment contrôlé le bon port des masques, et tancé les récalcitrants.

Mais, évidemment, tout ça n’est que le point de départ, il fallait aussi une bonne programmation, pour que la Musique soit belle ! Et, honnêtement – à moins que les privations de ces derniers mois ne nous aient rendus indulgents -, dans ce domaine-là, ça a été de la bombe, bébé ! Plaisir assuré à chaque étape (ou presque…). Et comme les deux scènes, séparées par la fameuse grange, n’étaient distantes que d’une minute à pied, en suivant les parcours soigneusement fléchés, nous avons pu assister à la bagatelle de 8 concerts complets entre 16h30 et 23h30 !

PénicheSenteurs marines et eau trouble de l’aquarium…

16h30 : Péniche n’est pas assez connu encore pour avoir droit à l’une des deux scènes, et joue à même le sol dans la cour de la ferme de Bionval… Pas grave, l’ambiance est bonne, et ce trio originaire de Cholet joue un post-rock purement instrumental, et souvent franchement énervé, virant de manière sympathique au punk rock. Sous le soleil de septembre qui a un goût d’été, ça transpire un max, mais le public adhère, malgré la configuration un peu inconfortable. Avec des titres aux bonnes senteurs marines – Vendée Globe, Thalassa, Deuxième étoile de mer – ces jeunes gens – qui s’enorgueillissent de leurs 18 écoutes sur Spotify – sont étonnamment convaincants, grâce à leur énergie et à des compositions accrocheuses dans un genre pourtant a priori pas facile. L’après-midi commence bien !

17h15 : on rejoint l’une des deux (vraies) scènes pour découvrir Gaëtan Nonchalant… qui, comme son nom l’indique, a fait le choix d’une musique peinarde et bienheureuse. Les références revendiquées sont Katerine (celui des débuts, pas encore fou furieux…), Louis Chedid ou Pierre Vassiliu… soit quelque chose d’assez loin quand même du Rock, in the Barn ou pas ! On chante les beaux souvenirs d’un été amoureux, l’arrosage des légumes et la nécessité de changer l’eau trouble de l’aquarium, ce qui a son charme, bien entendu. Le groupe est professionnel, avec un beau son de basse (Rickenbacker !), la voix est plus irrégulière, frôlant le faux par instants. Joli moment sur la Berezina, joué en solo avec la complicité du public qui semble connaître ce « local de l’étape », originaire de Vernon. De toute manière, difficile de porter un jugement sur une musique si loin de nos références à nous…

« La musique, c’est pas comme le vélo ! »

Bryans Magic Tears

18h : Bryan’s Magic Tears, l’un des groupes que nous attendions le plus aujourd’hui, est toujours aussi convaincant, mais cette fois dans un cadre idyllique sur la scène B (le soleil déclinant sur les bois, un grand pré derrière la scène…). Toujours cette filiation avec J&MC, mais sans la morgue provocatrice des frères Reid, et avec une légèreté mélodique croissante qui les dispense d’une pose rock’n’roll surannée. Quand cette musique monte en intensité, ça devient vraiment fort ! Et quand le volume sonore monte lui aussi – pas assez, mais bon, on est en France… – on a le droit d’évoquer les instants épiques de My Bloody Valentine (avec les vocaux de Cocteau Twins, me suggère-t-on…). Change (et son final martelé et intense…), « parce qu’il n’y a pas de raison que ça change… PAS ! » : oui, les musiciens de Bryan’s Magic Tears sont un peu plus communicatifs qu’à leur habitude, presque souriants (enfin, sans exagération, hein !). Ils sont visiblement heureux de jouer, « après 9 mois » (une légère exagération, mais on a en effet l’impression que ces mois sans musique live sont interminables). Et si le chanteur se plaint que « la musique, c’est pas comme le vélo… », rassurons-le, le groupe n’a rien perdu de son efficacité. Très beau set, généreux (50 minutes), qui a même le bon goût de déborder sur l’horaire pour nous faire plaisir…

This Is The KitDu coup on loupe le début du concert de This is the Kit, qui n’est pas a priori une priorité pour nous. Et pourtant, on a bien tort, car ce que fait la Galloise Kate Stables, sous l’étiquette folk, est bien plus intéressant que ça : accompagnée par un groupe qui joue électrique, Kate nous propose des chansons accrocheuses, festives et plutôt mélodiques, qui ne reposent pas que, comme c’est fréquemment le cas, sur la voix – magnifique, d’ailleurs – de la chanteuse.  En plus Kate prend la peine de parler français – impeccablement (bon, elle est basée à Paris…) – et de faire de l’humour (en particulier quand elle doit s’accorder, ou quand elle a oublié le ton d’une de ses chansons !…). Avec son guitariste Jesse Vernon (amusant, mais véridique !), elle nous offre même une démonstration de solos de guitare joués derrière la tête ! Le folk se mue finalement en un rock émotionnel, presque flamboyant, mais toujours aérien et sensuel. Alors que le soleil se couche sur la ferme de Bionval, le sourire espiègle de Kate est justement un beau rayon de soleil supplémentaire. Une belle découverte, la première de la journée.

Les Temples de Saragosse ?

My Expansive Awareness

19h45 : on court pour ne pas louper le début du set des très prometteurs Espagnols de My Expansive Awareness. Et de fait, dès l’entrée c’est impressionnant de puissance. Le son est agréablement plus fort, et le quintette de Saragosse balance un rock psyché à la fois évident et plutôt complexe : pas si loin de ce que font Temples avec comme point de départ une référence au psychédélisme « barretien », qui ne plombe pas une musique gardant une agréable légèreté pop. Plutôt que la belle gueule du chanteur, on remarquera les interventions tour à tour pertinentes et décalées au moog et à l’orgue de la part d’un claviériste bien allumé. Les chansons passent de l’émotion vocale au décollage échevelé façon Dandy Warhols. Après quelques chansons très pop qui mettent en joie, le groupe nous offre une rupture étonnante, alors que le set va se terminer : la musique devient plus ambitieuse avec un long morceau sombre et bruyant – après une étonnante, mais un peu complaisante introduction basse + moog. Et même si l’horaire imparti est bien dépassé, le public émigrant vers l’autre scène, une dernière chanson plus intense nous retient encore… En dépit ou à cause de ce changement de style sur la dernière ligne droite, on étiquettera My Expansive Awareness “seconde belle découverte de la journée”…

Structures« I Know We’re All Infected ! »

20h45 : le programme a pris 15 minutes de retard, ce qui n’est pas un drame. Surtout que l’on va pouvoir assister à un set de Structures, remplaçant au pied levé Hotel Lux, les punks britons ayant jeté l’éponge au dernier moment. Structures confirme immédiatement que l’on ne perd rien au change : ces Amiénois, qui font déjà beaucoup parler d’eux ont, et les chansons et l’attitude qu’il faut pour aller très loin. Bien sûr, les râleurs critiqueront l’adhésion sans réserve aux codes post punk (lumières aveuglant le public et vêtements noirs, basse grondante, batterie qui percute le crâne, chant martial et harangues enflammées…), mais honnêtement, si on a célébré l’année dernière des Fontaines DC et des Murder Capital, on devrait aduler Structures qui n’a pas grand-chose à leur envier.

Le chanteur a un vrai jeu de scène et une vraie belle voix, et le groupe dans son ensemble ne fait pas de quartier. Le public devient frénétique, et Rock In The Barn passe d’un coup à la vitesse supérieure : bon dieu, que ça fait du bien ! A noter une nouvelle chanson au refrain d’actualité : « I know we’re all infected! ». Le chanteur termine le set, un peu court (40 minutes seulement quand on aurait voulu qu’ils restent toute la nuit…) torse nu, alors que la température a bien plongé maintenant que la nuit est là, c’est dire la chaleur qui se dégage ! Si vous ne connaissez pas encore Strictures, ne les manquez pas sur scène, après la fin du monde…

« Sens, la capitale du monde ! »

Johnny Mafia

21h30 : Les Big Byrd de Suède s’étant eux aussi désistés en dernière minute (pas bien, ça !), une petite musique cérémonieuse et un peu ringarde accueille Johnny Mafia – le groupe punk ultime originaire de Sens, d’après eux “la capitale du monde”. Un groupe qui célèbre ses dix ans d’existence, mais a vraiment le vent en poupe en ce moment, combinant un punk rock forcené, très américain – des Ramones à Green Day, disons – et un sens de la déraison très fun. Car, oui, si les albums accrochent grâce à la qualité des compositions, sur scène, Johnny Mafia est une machine de guerre, menée par un batteur démentiel, Enzo. Après un démarrage sur les chapeaux de roue, ou même sur les jantes, les pneus étant restés collés au bitume, on réalise au bout d’une quinzaine de minutes quelles sont les limites de l’exercice : notre propre capacité à tenir le rythme sans ralentissement du tempo ! Et puis, les restrictions liées à la situation sanitaire ne permettent pas réellement le déclenchement d’un pogo général qui nous ferait pourtant tellement de bien… Malgré ce petit coup de mou – de la part du public, pas de la part du groupe, impérial, nous aurons droit à un final particulièrement sanglant, avec Ride (du moins il nous semble avoir reconnu ce morceau…). 45 minutes littéralement furieuses.

Du coup, il nous reste – pour la première fois de la journée – quinze minutes pour souffler un peu, avec le couronnement du programme du samedi… les formidables, et étonnamment sous-estimés Warmduscher. Il est 22h30 : « Un groupe qui a réussi à traverser la Manche, c’est un exploit ! », commentent les organisateurs après avoir rappelé une fois de plus – comme avant chaque set – les règles sanitaires. Mais les exploits, ça les connaît, les joyeux allumés de Warmduscher, les “rois de la débauche dangereuse”, la “crème de la crasse”, les “experts du rock’n’roll fracture”, comme les qualifie la presse Outre-Manche.

Warmduscher

Une bouteille de Johnny Walker Black Label au goulot…

De fait, quand on découvre le groupe sur scène, c’est un choc : un assemblage aussi hétéroclite de musiciens aux looks absurdement différents, c’est à notre connaissance du jamais vu. Un chanteur américain en survêtement blanc coiffé d’un stetson blanc, un bassiste black à la classe folle, un guitariste qui a l’air d’avoir joué avec les Pogues de la grande époque, un claviériste très Human League, et un incroyable batteur blond tatoué qui semble sortir tout droit d’un groupe de Death Metal scandinave ! Mais en fait, ce bariolage visuel reflète parfaitement une musique qui part effectivement dans tous les sens : garage rock, hip hop, blues, soul jazzy, et surtout désormais disco bien agressive ! Avec des chansons dont la durée, généralement courte, ne semble obéir à aucune règle, puisqu’on a régulièrement l’impression que les musiciens laissent tomber la chanson au bout de deux minutes parce qu’elle les ennuie déjà…

Il serait facile de considérer Warmduscher comme une sorte de plaisanterie de mauvais goût si leurs chansons n’étaient pas aussi addictives, réjouissantes même. Et de toute manière, il suffit de vivre les étonnantes poussées d’hystérie que déclenchent dans le public la combinaison de ces rythmiques obsessionnelles et des cris suraigus du chanteur : ça, c’est indubitablement la marque d’un vrai groupe !

Bon, les musicos descendant une bouteille de Johnny Walker Black Label au goulot, on se dit que le plaisir ne va pas trop durer, mais Warmduscher tient le coup pendant la petite heure prévue, et nous laisse ravis et épuisés. La parfaite conclusion d’une après-midi et d’une soirée bien remplies.

Il est temps de rentrer à la maison, non sans remercier une dernière fois pour leur ténacité et leur sérieux ces véritables héros du Rock’n’Roll que sont les organisateurs de ce Rock In The Barn 11ème édition. C’était tout simplement magique !

Texte et photos : Eric Debarnot