[Netflix] Sexify : et si, en Pologne comme ailleurs, le sexe était politique ?

Bien plus intéressante que ce que l’on aurait imaginé, la série polonaise Sexify travaille plusieurs sujets pertinents quant à la libération de la sexualité dans la société polonaise, derrière des stéréotypes un peu faciles.

Sexify
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On connaît malheureusement le principe des productions Netflix, qui recyclent à travers le monde les mêmes idées, en général en provenance des US, qui ont fait leurs preuves en termes de succès d’audience. Sexify, déclinaison polonaise de Sex Education, ne fait pas très envie avec son pitch assez consternant, susceptible de contenir à peu près tous les clichés imaginables : pour obtenir une bourse en développant une App innovante et utile, une étudiante en informatique douée dans ce domaine mais sérieusement handicapée quand il s’agit d’avoir des relations de quelque type que ce soit avec les autres, décide de modéliser l’orgasme féminin…

Sexify posterMais, comme c’est finalement régulièrement le cas avec les productions Netflix, que ce soient les séries TV ou les films, c’est la « localisation » du concept « global » qui génère tout l’intérêt : parler du plaisir féminin dans l’un des pays les plus catholiques d’Europe, où les forces réactionnaires se déchaînent depuis quelques années, ce n’est ni une évidence comme en Europe de l’Ouest, ni un sujet de gaudriole hypocrite comme aux USA, c’est un sujet… politique, audacieux. Et ça change tout : en choisissant d’ignorer les quelques moments un peu bêtement sexy, les (rares, heureusement) gags un peu lourd, Sexify nous offre l’occasion de découvrir le champ de bataille de la libération de la femme (plus que jamais d’actualité, donc…) en Pologne.

Portée par trois personnages féminins à la fois stéréotypés – chacun représentant un « type » de jeune femme polonaise – et extrêmement bien croqués, Sexify nous rappelle que le combat doit se mener sur de multiples fronts. Evidemment, en premier lieu, il s’agit de se libérer de l’emprise de la famille traditionnelle (pas de salut, pas de vie hors mariage) et de l’église (pas de sexe hors mariage), comme doit le faire Paulina (la lumineuse et très drôle Maria Sobocinska), aimant son fiancé mais ne tirant aucun plaisir de mornes étreintes conjugales, et tentée par les plaisirs saphiques. Paulina est un personnage passionnant, parce qu’elle témoigne in fine du fait que, au-delà des contraintes sociales, la libération doit être avant tout intérieure, contre sa propre éducation, ses propres préjugés. Rien là-dedans de révolutionnaire, certes, mais un rappel bienvenu alors qu’il est si aisé de pointer « la société » comme responsable de nos propres échecs.

Natalia (Aleksandra Skraba), la « geek » de service, incapable de s’ouvrir aux autres, fournit les ressorts comiques classiques, ainsi que la dose de romance de circonstance, alors que Monica (Sandra Drzymalska) est le personnage le plus complexe, le plus ambigu : représentant la réussite sociale et financière d’une nouvelle Pologne émancipée ayant choisi d’embrasser totalement les valeurs occidentales et surtout capitalistes, elle témoigne d’un autre type de mal-être, plus universel, puisque sa réussite apparente cache mal des failles psychologiques béantes. La conclusion de la saison, montrant que face au conservatisme de l’Université polonaise, la solution ne peut être débloquée que par l’Argent, contredit malheureusement cette piste intéressante d’une liberté de la femme toute aussi entravée par le dogme de la modernité occidentale.

Entourées de nombre de seconds rôles également très bien écrits et caractérisés (on adorera le formidable Jabba, patron homo d’une échoppe de dépannage informatique), ce trio de choc nous permettra d’apprécier Sexify, et ce d’autant que la mise en scène joue dans des tonalités burlesques, fantaisistes et colorées souvent plaisantes… … Tout au moins jusqu’à une conclusion un peu trop feelgood, à la morale trop facile (« apprendre à communiquer avec les autres et à les aimer est la seule solution ») qui évite finalement les implications politiques de son sujet… Et ce malgré quelques défauts bien gênants, comme l’utilisation d’une musique et de sons électroniques omniprésents qui se révèlent vite irritants, ou les raccourcis d’un scénario qui ne rentre finalement pas assez dans les détails quant à la logique de la fameuse App développée par Natalia : si l’on a un instant d’espoir quand est mentionné le nom de l’illustre sexologue William Masters, il est triste finalement que les scénaristes de Sexify n’aient pas eu le courage de traiter un peu plus sérieusement le sujet central de la série, « l’éléphant dans le couloir » : l’orgasme féminin.

Comme quoi, la vraie libération, ce n’est pas encore pour aujourd’hui.

Eric Debarnot

Sexify
Série polonaise de rie de Kalina Alabrudzinska, Malgorzata Biedronska, Piotr Domalewski
Avec : Aleksandra Skraba, Maria Sobocinska, Sandra Drzymalska…
Genre : comédie
8 épisodes de 40 minutes mis en ligne (Netflix) en avril 2021