Clinic – Fantasy Island : du pseudo-disco sous Xanax. Jouissif !

Clinic : 9 albums, 20 ans de carrière, le groupe de Liverpool réduit à 2 unités réussit encore à séduire, à innover et à se renouveler sans se renier. Une musique improbable, grinçante d’ironie. Une musique faussement groovy et véritablement réjouissante.

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Wheeltappers and Shunters, le précédent album de Clinic, chroniqué ici, tirait son titre du nom d’une série britannique diffusée entre 1974 et 1977 et se passant dans un social club du Nord de l’Angleterre, The Wheeltappers and Shunters Social Club. Pour son nouvel album, Fantasy Island, le groupe de Liverpool reste dans l’imaginaire de la télévision de la fin des années 1970, en l’occurence celui de la série américaine Fantasy Island.

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Clinic ouvre les fenêtres, aère l’air surchargé de fumée des social clubs, fait même tomber les murs, et nous emmène respirer. Assez parlé de l’atmosphère glauque de l’époque. Finie la satire que le groupe mettait en avant à propos de Wheeltappers and Shunters. L’ambiance se détend, genre cocktails festifs sur la plage, groove magique sous les cocotiers pendant des nuits qui n’en finissent plus ! “Clinic look to a brighter future”, nous dit le groupe en en faisant la promotion d’un album pensé comme “très positif” ! Et pour cause, “The future is breezy” chante Adrian “Ade” Blackburn sur Grand Finale le dernier morceau de l’album. D’ailleurs, en faisant la promotion de cet album que le groupe trouve “très positif”, Clinic évoque les Fun Boy Three, Kid Creole and the Coconuts et même la pop Italienne des années 1980.

Soyons clair, rien d’enjoué ou de désinvolte, Rien de jovial sur les rivages de l’île fantastique de Clinic : la pochette nous montre quand même le Royal Liver Building de Liverpool en train de sombrer dans la mer ! Et les références au funk, au disco, à une pop tropicale qui nous aérerait la tête est un peu poussée. Le groove que l’on trouve sans aucun doute sur certains morceaux de l’album Fine Dining ou Miracles et Feelings est passé au Xanax, jusqu’à en être hypnotique. Les guitares hawaïennes donnent un faux côté tropical à Grand Finale, tellement ralenti que la possibilité de danser avec des colliers de fleur autour du cou en devient complètement absurde. Même la reprise d’I Can’t Stand the Rain, d’Ann Peebles, ou le loungy On the Other Side – un mélange entre BO de polar des années 1940 et Thievery Corporation – n’ont pas du tout l’innocence qu’ils semblent avoir de prime abord.

Peut-être est-ce d’avoir vu une grande partie de la population mondiale porter les masques chirurgicaux que les membres du groupe portaient depuis un moment déjà qui les a portés à l’ironie… Quoi qu’il en soit, et quoi qu’en dise Ade Blackburn, Fantasy Island n’a rien de festif. Une musique est toujours aussi perturbante, cette grâce désarticulée et grinçante. On retrouve ce son si typique du groupe. On a toujours ces changements de rythme incessants et inattendus, ces décalages et contre-pieds permanents, ces incantations d’un Ade Blackburn qui marmonne toujours de cette même voix grave et glaçante… De ce point de vue, Fantasy Island, le morceau éponyme, est certainement le plus extrême de l’album. On y trouve en plus l’apport de certains gadgets électro que le groupe dit avoir utilisés pour la première fois. Sur ce morceau, comme sur le reste de l’album, le son est plus riche, plus varié. Mais cela ne change rien au fait que Fantasy Island est un album de Clinic. Même si le groupe s’est réduit de 2 unités et n’est plus qu’un duo à présent, il n’a pas perdu son identité. Et c’est parfait comme ça : Clinic fait très bien ce qu’il sait très bien faire.

Fantasy Island est un album de Clinic, et un album franchement réussi. Très égal, très équilibré. Il y a quelques ovnis comme On the Other Side ou Grand Finale. Il y a quelques perles comme Refractions (In the Rain) – la plus belle d’entre elles, plus de 5 minutes de musique dense, sombre, riche, lyrique, psychédélique – ou Fine Dining ou encore… Non, en fait. Impossible d’isoler tel ou tel morceau. Chaque morceau a son quota d’inventivité et d’intelligence. Chaque écoute révèle ou rappelle un son, une intonation, un arrangement, un mot, une ligne de basse qui avait échappé ou qu’on avait oublié. Chaque écoute rappelle combien Clinic fait une musique improbable. Une musique unique. Avec peut-être un des meilleurs albums du groupe.

Alain Marciano

Clinic – Fantasy Island
Label : Domino
Parution : 22 Octobre 2021