[ciné classique] Affreux, sales et méchants – Ettore Scola : La Vita é Bruta

En 1976, le grand Ettore Scola mettait en scène dans une farce très Italienne aux relents de Commedia Del’Arte médiévale pleine de sang et de boue, un drame antique version crasseux dans un bidonville Romain. Scola et son oeil incisif, son goût du social et son originalité technique vient frapper un grand coup sur le Festival de Cannes et raflera au passage le prix de la mise en scène ( bien mérité ! ). Inoubliable.

Un million de Lires pour ce visage balafré à la chaux et cet oeil crevé.
Voilà ce que l’Etat Italien à donné à Giacinto pour le dédommager.
Voilà ce qui va nouer l’intrigue de cette histoire sordide. Qui va élever ce bidonville oublié de l’humanité et ces personnages crasseux, à la simplicité et à la pureté originelle de la tragédie antique.

Giacinto est une ordure.
Giacinto vit dans un superbe bidonville sur les hauteurs de Rome, avec une vue imprenable sur St Pierre de Rome. Ce St Pierre de Rome et ses Saints cousus d’or, regardant au loin sur leurs socles de marbre, ces beaux petits diables se démener dans la merde et la boue.

Giacinto a une grande famille, une grande famille d’ordures.
Une dizaine de fils, plus ou moins légitimes; des voleurs de sacs, des macs, des traves.
Plus une dizaine de belle-fille, prostiputes de grands chemins, mannequins pour bouquins qui se lisent d’une main. Plus une chiée de pique-assiettes vides et autres gangrènes humaines, venant squatter le cagibi en tôle ondulée que le pauvre Giacento a construit de ses petites mains sales et perverses.

Tout ce petit monde entassé. Dormant les uns sur les autres, les uns dans les autres.
Cette cour des miracles sauce Bolognaise où tous les mauvais coups sont permis. Où ne dormir que d’un oeil est la règle, où Giacinto est malheureusement condamné à l’insomnie.
Il les sent ces regards dans son dos, ces petits coups d’oeil vicieux à chaque fois qu’il change son magot de cachette.
Cette famille traître et comploteuse qui veut le faire tomber de son trône de boîte de conserve. Lui, le « King Lear » du sac poubelle, l’Harpagon de la bouche d’égout insultant son petit monde, le Scapin clochard « comediadelartétisant » ce Géronte à moustaches qui lui sert de femme.

Ça sent pas bon tout ça ! Cette marmite pleine de merde monte en pression et commence à siffler aux oreilles de toute la smala.

Surtout quand le vieux décide de ramener la plantureuse Sybelle, imposante prostituée aux atours et au décolleté Fellinien, et qu’il impose ce Botero dans le lit conjugal.
C’est la goutte d’urine qui fait déborder le pot de chambre.
Sa femme à barbe vient de trouver le prétexte pour éliminer cette ordure de Giacinto et au passage récupérer le grisbi.
C’est à la « mort-au-rat » qu’elle veut se le faire le volage.

AFFREUX, SALES ET MÉCHANTS

Ce sera donc autour d’une splendide tablée en bord de mer; un bord de mer dégueux, jonché de bouteilles en plastique et de bidons de produits toxiques ( PUTAIN ! Même la mer est moche ici !) que le sort de Giacinto va s’accomplir.

Réunis autour de ce Christ de pacotille, ces apôtres de la fange attablés pour partager ces « maccheroni alla pugliese » copieusement arrosés de raticide, sont bien là pour trahir ce Messie de caniveau.
C’est douze Judas assis à la table, festoyant, mangeant salement et riant la bouche pleine; attendant la bouchée fatale de leur ordure de père.
C’est au milieu d’une poésie, d’un chant d’enfant, de ces regards cannibales sur la fourchette du vieux, de ce silence macabre, de cette tension glaçante.
C’est au milieu des larmes de Giacinto, des larmes de ce coeur de pierre entendant la voix pure de cet enfant qu’il voudra tout pardonner. Faire table rase du passé, effacer les coups tordus et affronter cette pauvreté main dans la main…..Ensemble…Mais c’est trop tard !
Ces regards assassins qui lorgnaient l’assiette du père se transforment soudainement en rires odieux, en rictus de haine en voyant l’ancien pâlir et se tordre de douleurs sur son assiette de macaronis mortels…C’en est fait de la vieille ordure !!!

Mais la mauvaise herbe est tenace…Immortelle.

Affreux, sales et méchants c’est un spectacle de Guignol. Un guignol dégueulasse, qui pue sous les bras et qui a les dents noires.
Un théatre de Guignol avec pour décor la pauvreté, la misère d’un bidonville.
C’est la Commedia del Arte, chère aux Italiens, avec ses personnages caricaturaux et exagérés.
Ce sont ces masques de carton d’Arlequin ou Polichinelle remplacés par des visages salis, maculés de crasse, de poussière et de boue.
C’est le rire de la pauvreté, la comédie du désespoir.

C’est la tristesse de cette gamine de 13 ans et ses bottes jaunes qui ouvre le film. Cette gamine qui va chercher son eau à la fontaine.

C’est la tristesse de cette gamine de 13 ans et ses bottes jaunes qui clôt le film. Cette gamine qui va chercher son eau à la fontaine…Mais qui est enceinte.

Renaud ZBN