[Interview] Trentemøller : « J’utilise la mémoire tous les jours dans mon processus de création… »

Memoria, le nouvel album du Danois Trentemøller, sanctifie les ambiances atmosphériques proche du shoegaze et de la dream-pop. Retour sur sa genèse avec Anders Trentemøller, qui depuis Copenhague, a répondu à nos questions.

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Photo : Karen Rosetzsky

Benzine : Quelle est la situation au Danemark ?

Anders Trentemøller : Et bien, les restrictions sont enfin levées car beaucoup de personnes sont à présent vaccinées. Plus de masques, plus de passes sanitaires, et les bars ouvrent enfin plus tard. J’ai été surpris par la rapidité avec laquelle le gouvernement a décidé de lever les contraintes. Certes, il y a moins d’hospitalisations mais le niveau de contamination restent encore élevé. Donc c’est une nouvelle situation pour moi, après deux années de pandémie.

Benzine : C’est plutôt une bonne  nouvelle  pour les musiciens.

Anders Trentemøller :  Oui, nous devions commencer notre tournée en février, mais nous l’avons déplacée en avril. Car la situation n’est évidemment pas la même selon les pays ou nous devons jouer.

Benzine : Astu enregistré ce disque comme les autres ?

Anders Trentemøller : La Covid n’a en fait rien changé pour moi. Je passe toujours beaucoup de temps dans mon studio, pandémie ou non. Donc cet album n’en a pas pâti. J’ai travaillé comme d’habitude à l’exception des voix qui ont été enregistrées à la maison, c’était  plus simple.

Benzine : Lisbet Fritze est l’unique chanteuse sur Memoria alors que, précédemment, tu avais fait appel à Rachel Goswell de Slowdive ou encore à Jehnny Beth.

Anders Trentemøller : Cet album a été une véritable chance pour moi car c’est la première fois que j’ai écrit l’ensemble des textes et des mélodies. Habituellement, je travaille avec différentes chanteuses, de cinq à six par album. Cette fois, je ne voulais qu’une seule chanteuse, pour y gagner en intimité. C’est assez naturel que ma compagne Lisbet Fritze s’en soit chargée, c’était plus simple de réaliser ce disque très personnel avec un minimum d’interlocuteurs. Et l’implication de Lisbet se fait ressentir.

 

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Photo : Karen Rosetzsky

Benzine : Ton environnement influence t-il  ton processus de création ?

Anders Trentemøller :  Ces deux dernières années, j’étais partagé entre New York et le Danemark. Et je n’ai pas l’impression d’en avoir été influencé. C’est plutôt la vie, telle que je l’ai vécue, qui a pu avoir une influence. Certes, la mélancolie que tu perçois dans mes nouvelles chansons existe depuis très longtemps dans le folk danois, dans l’humeur intrinsèque des habitants et sûrement dans ce climat pas vraiment ensoleillé. Je peux en être  influencé mais sans que je m’en rende compte.

Benzine : Le son de Memoria est très travaillé, laisses-tu encore de la place à l’improvisation ?

Anders Trentemøller : Lorsque je compose, ma priorité est de trouver la bonne chanson. Et si des accidents heureux se produisent, comme un micro mal placé ou une manipulation approximative, et que le son ou l’effet obtenu me plait, je peux l’utiliser. Mais l’improvisation s’invite plus au début du processus de composition, lorsque je cherche, puis doucement la chanson trouve ses marques dans la mélodie ou la progression rythmique. Et l’improvisation trouve de moins en moins sa place. La plupart des titres de Memoria ont été composés chez moi sur mon piano. C’était plus facile que de devoir me rendre au studio et être tenté par les possibilités infinies qui t’y sont offertes.

Benzine : Donc aucune chanson n’a été composée à la guitare, pourtant assez présente sur l’album ?

Anders Trentemøller : Tout a été uniquement composé au piano. J’ai ensuite transféré les chansons dans mon studio pour les faire évoluer. La plupart des guitares que tu entends n’en sont pas. Ce sont des synthétiseurs dont j’ai manipulé les sons afin qu’ils se rapprochent de celui des guitares, sans les imiter pour autant. Mais pour obtenir le vrai son shoegaze ou noise que j’adore, ce n’est pas possible avec des synthétiseurs. C’est un ami, Silas Tinglef,  qui est venu jouer sur quelques passages avec sa guitare et ses effets, tout comme Lisbeth.

Benzine : Tu utilises des sons bien reconnaissables et d’autres assez inédits. Tu mélanges instruments vintage et récents ?

Anders Trentemøller : J’utilise désormais des claviers récents, j’ai pu utiliser des claviers vintage autrefois, mais le son des ces instruments est bien trop typé. J’en utilise surtout dans l’équipement studio comme des équaliseurs où des réverbes du début 80’s que je branche sur ma console et mon ordinateur. Le son des 80’s est souvent à la fois froid et chaleureux. Alors que, si je veux un son froid tout court, je vais plutôt utiliser des trucs récents.

Benzine : J’ai noté la présence de nombreux titres instrumentaux.

Anders Trentemøller : Cela a toujours été ma marque de fabrique que de composer des instrumentaux. Même si je trouve qu’on peut transmettre des émotions à travers des paroles ou un chant, les instrumentaux te permettent d’aller plus loin, vers des émotions plus intimes. Tu n’as pas besoin d’entendre quelqu’un te raconter des trucs, qui peuvent changer ta perception de la musique. Mais chant ou pas, je compose de la même manière.

Benzine : Pourquoi ce titre de Memoria ?

Anders Trentemøller : Je ne suis pas doué pour trouver des noms d’albums. Le titre est important, mais ça me sort à chaque fois de la tête. Un soir, j’étais devant Internet et je tombe sur ce nom Memoria qui est le mot latin pour « mémoire ». J’ai trouvé que ce mot collait bien avec mon disque. Toute personne a une part de mémoire en elle, tout comme les processus créatifs, et ça faisait sens que cet album s’appelle ainsi. C’est comme lorsqu’une chanson que tu as vraiment adorée adolescent passe à la radio. Tu es irrémédiablement transporté quelques années avant et les souvenirs apparaissent plus forts que jamais. Et c’est quelque chose d’assez unique, que de pouvoir se replonger dans le passé, juste avec une chanson. Ca fonctionne aussi avec les odeurs. Lorsque je trouve une ligne mélodique, j’attends toujours de passer une nuit pour voir si je m’en souviens. Si c’est le cas, c’est généralement une bonne chanson. J’utilise la mémoire tous les jours dans mon processus de création.

Benzine : A propos de mémoire, écoutes-tu encore de la house et techno comme à tes début ?

Anders Trentemøller : Non, ça fait longtemps que je n’en écoute plus. Très vite, on a voulu me cataloguer artiste techno alors que j’écoutais aussi du rock ou des trucs un peu plus jazzy.  Je dois t’avouer que je trouve la musique de clubbing assez ennuyeuse. Je ne ressens plus grand chose lorsque j’en entends.

Benzine : Tu es très prolifique pour remixer d’autres artistes…tu continues ?

Anders Trentemøller : Moins qu’avant, car il m’est arrivé de passer plus de temps pour les autres que pour moi même. Maintenant je remixe trois ou quatre titres par an, et uniquement pour des chansons qui me touchent. Je préfère utiliser mon temps pour répéter, écrire et travailler sur mes projets à venir.

Benzine : En concert, tu seras accompagné par les même musiciens qu’en 2018 ?

Anders Trentemøller : Non, car avec mes anciens musiciens, on a tourné pendant 10 années. Je les adore, ils sont fantastiques. Mais je n’ai pas donné de concerts pour mon album précédent, Obverse, qui était vraiment un album de studio, et je n’avais pas envie de partir pour plusieurs mois. Je me réjouis de pouvoir retrouver la scène pour mon nouvel disque, entouré de nouveaux musiciens qui viennent pour certains de Copenhague et dont je suis très fier. On forme vraiment un super groupe, les dernières répétitions sonnent comme jamais. Je me réjouis vraiment, après ces années passées en studio, de pouvoir retrouver la scène en étant bien entouré.

Propos recueillis par Mathieu Marmillot

Nouvel album : Trentemøller Memoria – Sortie le 11 février 2021