« As Tears Go By » & « Nos années sauvages » de Wong Kar-wai restaurées en 4K

À l’occasion de la ressortie en salles le 29 juin de deux films de jeunesse de Wong Kar-wai, avec des copies restaurées en 4K, revenons sur nos émois de l’époque, afin de vous donner envie de (re)plonger dans les chefs d’œuvre de ce maître de cinéma.

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AS TEARS GO BY (1988) :

A l’époque, la mode à Hong Kong est aux films de gangsters, après l’énorme succès du film Le Syndicat du crime (1986) de John Woo. Wong Kar-wai, scénariste, tente l’aventure en se plaçant également derrière la caméra pour nous immerger de manière singulière dans une histoire de petites frappes et de gangs rivaux. Pour son premier essai cinématographique, le cinéaste reprend d’emblée les codes habituels de ce genre en décrivant les bas-fonds et l’ultra-violence, tout en les détournant, à travers de nombreux ralentis et de certaines distorsions de l’imagerie habituelle du voyou. Le metteur en scène pose également les bases de ses recherches visuelles captivantes, qui donneront bientôt tout son sens à son art cinématographique. Ici, la ville de Hong Kong notamment, filmée de nuit sous les néons, nous apparaît sous une atmosphère inédite . Ce véritable écrin esthétique intensifie une narration avant-gardiste, imprégnée d’un romantisme fougueux, alors que Wong Kar-Wai orchestre stylistiquement le mélodrame à travers une relation amoureuse contrariée. As tears go by révèle aussi Andy Lau et Maggie Cheung, deux acteurs encore relativement méconnus à l’époque de la sortie du film. Très inspiré par l’épatant Mean Streets (1973) de Martin Scorsese, ce premier long métrage intense se montre prometteur et convaincant. Un coup d’essai brillant pour ce futur maître conteur du temps et de l’amour.

Date de ressortie : 29 juin 2022

NOS ANNÉES SAUVAGES (1990) :

Une rêverie éveillée dont l’action se situe en 1960 de Hong-Kong jusqu’aux Philippines. Le cinéaste nous conte le destin d’un jeune bourgeois déraciné qui semble indifférent à la vie, et qui abuse sans scrupules de son charme sensuel auprès des femmes qu’ils rencontrent, tout en recherchant l’identité de sa vraie mère biologique. Wong Kar-wai, le magicien de l’image, livre une envoûtante mise en scène nonchalante mais virtuose et esthétique, avec des cadrages méticuleux, et où les dilatations temporelles renforcent les angoisses de son héros incapable d’aimer.

Ce premier volet de la « trilogie de l’amour » installe véritablement les fondations de In the Mood for Love (2000) et de 2046 (2004). Une fiction sous la forme d’une « histoire vraie de voyou » qui impose un peu plus son style sensuel et captivant. Un long métrage splendide, ensorcelé par un scénario évanescent, par des acteurs épatants (magnifiques Leslie Cheung, Jacky Cheung, Maggie Cheung, Andy Lau, Carina Lau), qui plus est accompagné par une délicieuse bande son mélancolique (notamment le morceau Perfidia de Xavier Cugat qui sera réutilisé au cœur de In the mood for love et 2046). Le réalisateur développe de manière hypnotique ce superbe ballet poétique, tendre et déchirant comme un tango, où le langage des corps se rajoute à la moiteur du climat. Une œuvre minutieuse, enivrante, un magnifique portrait de l’adolescence et de l’innocence perdue, qui permet à l’esprit du spectateur de quitter le bitume désenchanté pour s’envoler vers la forêt tropicale défilant par la fenêtre de ce train qui roule vers on ne sait où…

D’une terre à l’autre, avec Wong Kar-wai, l’envoûtement opère partout, et panse toujours si bien les blessures.

Sébastien Boully