Un été en polars avec Benzine : une sélection (subjective) de 10 titres

Comment être original en parlant de polars et de thrillers ? En les choisissant en dehors du calendrier des sorties. Certes il y a des best-sellers et des gros tirages parmi ces 10 titres, mais aussi il y en a aussi d’autres peut-être moins connus et moins cités qui valent pourtant la peine d’être lus, et pour certains relus, et d’autres gardés !

Un été en polars

10 titres pour un été déjà torride : du polar, du thriller, du roman noir qui fait réfléchir sur l’état de notre société tout en donnant des frissons.

1. Comme des rats mortscomme des rats morts, Benedek Totth (Babel noir)

Des adolescents qui ne s’intéressent pas à grand-chose, pour ne pas dire à rien. Pas à l’école, on s’en doute, mais pas au sexe ou la drogue, l’alcool ou les clopes. Tout n’est qu’un moyen pour passer le temps, parce qu’il n’y a que ça à faire : détruire le temps (et se détruire par la même occasion). Il n’y a rien à attendre de rien. Aucune issue, aucune espoir, aucune sortie possible. Cela se passe en Hongrie mais c’est universel. Ce n’est pas un polar, pas un thriller non plus, mais un roman noir, très noir. Mais tellement bien écrit. Au couteau, au rasoir, près de l’os. D’une violence inouïe. Dans un style pas d’une justesse incroyable. Benedek Totth est à la distance parfaite. On dirait un témoignage.

voleurs2. Voleurs, Christopher Cook (Rivages noir)

Austin, Texas. Un tandem de losers aux nerfs très sensibles et à la gâchette facile qu’il ne vaut mieux pas aller chercher, surtout pour quelques pièces. Auquel on ajoute une jeune femme qui ne s’en laisse pas compter non plus. Le trio erre sur les routes du Sud, poursuivi par un Texas Ranger. Une odyssée sanglante racontée dans un style extraordinaire, clinique et poétique. Pas une phrase, pas un mot de trop. Christopher Cook a enlevé le superflu, donné à sa langue une puissance narrative énorme. On aime tout, la chaleur, les motels pourris, les bouges crasseux, les supérette miteuses et les personnages délirants. Voleurs fut le premier roman de Christopher Cook et cela reste quand même un des meilleurs romans noirs jamais écrit.

les impliques3. Les impliqués, Zygmunt Miloszewski (Presses Pocket)

Le premier volume d’une trilogie où les enquêtes sont menées par un procureur judiciaire polonais, Teodore Szacki. On n’est pas loin du tout de Harry Hole, Wallander ou Erik Winter. Les romans sont prenants, sur un fond historique intéressant sans être trop lourd. Les personnages sont au niveau. Surtout le procureur. Un type déplaisant et désagréable, qui s’aime bien et aime peu ses contemporains, mais d’une manière qui le rend très sympathique. Il est caustique, à la limite du politiquement correct, et a le sens de la justice. C’est bien pratique pour affronter les misères du monde, et de son pays (qui en connaît pas mal).

 

higashino4. La lumière de la nuit, Keigo Higashino (Babel Noir)

Lire de la littérature japonaise est toujours une garantie de dépaysement radical. Et Keigo Higashino est un maître, sans conteste. Ses romans vous transportent au Japon. Non seulement par ses descriptions mais aussi par son style, sobre, doux. Un rythme lent. Une ambiance très feutrée, très policée. Et pourtant il arrive des choses horribles. Son premier roman traduit en français (La maison où je suis mort autrefois) a reçu le prix polar international de Cognac (2010) et le Prix Michel Tournier (2013). Ses autres sont également très bons. Les histoires sont presque secondaires, tant les romans sont immersifs. Avec une préférence pour La lumière de la nuit, probablement le plus ambitieux de tous.

malajovich5. Le jardin de bronze, Gustavo Malajovitch (Babel Noir)

Buenos Aires. Lili, Fabiàn et leur fille Moira se promènent. Moira disparaît. Tout s’écroule pour Lili et Fabiàn. L’enquête s’enlise. Il faudra des années pour que les choses s’éclaircissent. 10 ans que Fabiàn va passer à chercher sa fille. Une fin un peu étrange et fantastique à l’image d’un pays où tout semble possible. Un style simple et sans affectation, pas artificiel pour deux sous. Gustavo Malajovitch, scénariste pour le cinéma et la télévision, sait raconter des histoires qui tiennent en haleine. Et pourtant il y a plus de 600 pages, mais on suit sans hésiter et même (presque) en se rongeant les ongles. Le rythme est lent et puissant, l’émotion est intense. Les personnages ont une vraie épaisseur et on ne peut s’empêcher de sympathiser avec eux. Et surtout avec Fabiàn.

le rat de venise6. Le rat de Venise, Patricia Highsmith (Livre de poche)

On ne présente plus Patricia Highsmith, une légende du polar. Et pour sortir un peu des sentiers battus, tout en collant à une certaine actualité, ce recueil de nouvelles particulièrement réjouissantes et effrayantes sur le thème de la cruauté animale. La cruauté envers les animaux par les hommes et celle des animaux qui se vengent. Le thème n’est pas nouveau mais il prend un tour particulier sous la plume de l’autrice de L’inconnu du nord express ou de Monsieur Ripley. Patricia Highsmith sait captiver avec des histoires à la limite du fantastique et du surnaturel. Elle excelle à la limite des dimensions. Leur vengeance peut être particulièrement féroce (comme les poules dans l’élevage industriel). On en a froid dans le dos. On se dit que Patricia Highsmith nous avait prévenus et qu’on aurait dû l’écouter.

G03198_Paulin_GuerreRuse.indd7. La guerre est une ruse, Frédéric Paulin (Folio noir)

1992, le Front islamique du salut a gagné les élections, le président au pouvoir démissionne et le processus électoral est bloqué. Une vague d’attentats secoue le pays. Tedj Benlazar est agent des services secrets français sur place. Il comprend que les attentats ne viennent pas forcément d’où on croit. Don Quichotte. Bon Samaritain. Épris de justice. Il essaie de prévenir ses supérieurs. Évidemment, ça n’est pas facile de faire entendre un message, surtout quand on ne veut pas entendre. La guerre est une ruse est le premier d’une trilogie (avec Prémices de la chute et La fabrique de la terreur) et sans conteste le meilleur. Un style sobre et efficace. Des personnages intéressants et ambigus. Une histoire contemporaine et qui nous touche encore. Un très bon thriler géo-politique.

thomas ribe8. La Cinquième Affaire de Thomas Ribe, Øystein Lønn (Série noire)

L’inévitable polar scandinave ! Mais un plutôt ancien, datant de 1966 (la version française date de 2001). La Cinquième Affaire de Thomas Ribe est sorti au moment où ce n’était pas encore une façon de faire passer le plus mauvais de la littérature policière en douce, avec le meilleur. Et il est écrit par un romancier qui a peu écrit de polars (c’est le troisième, dernier et seul traduit en français d’une trilogie). Roman étrange. Pas énervé du tout, mais cela fait tout son charme. L’atmosphère est douce et comme cotonneuse, mélancolique mais très tendue. L’histoire met un temps fou à se mettre en place tellement qu’on en oublie qu’il y a un meurtre et une enquête. Pourtant, on se laisse prendre et on a envie d’être et de rester jusqu’au bout avec des personnages intéressants, dans des paysages superbes.

chroniques jp manchette9. (hors catégorie 1). Chroniques, Jean-Patrick Manchette (Rivages noir)

Le polar des polars, une sorte de bible : les chroniques que Jean-Patrick Manchette a écrites entre 1976 et 1995 pour Charlie Mensuel, Polar (plus quelques autres textes). On y trouve tout ce qu’il faut savoir sur le polar en général (de la théorie du genre à l’usage du passé simple ou du passé composé) mais aussi les meilleurs conseils de lecture qu’on puisse imaginer (en particulier celui de lire l’indispensable Ross Thomas). Et tout ça écrit dans un style impeccable. Daté (évidemment) mais incontournable, qu’on aime ou pas Manchette et ses propres polars. On parle ici de l’histoire du polar.

 

la griffe du chien10. (hors catégorie 2). La griffe du chien, Don Winslow (Points Policier)

Pour terminer, un romancier célèbre pour un roman très connu mais incontournable. Le premier volume d’une trilogie sur le trafic de drogue. Nous sommes entre les États-Unis et le Mexique (même si surtout au Mexique) et on suit un agent de la Drug Enforcement Agency, Art Keller. Don Winslow a un défaut, celui d’être un peu bavard. Il a un peu tendance à écrire ses romans comme s’ils s’agissaient de reportages. Mais ces romans sont tellement nourris d’une documentation précise que cela ne peut pas être une erreur. Et même si c’est inventé, c’est si proche de la réalité qu’on oublie tous ses doutes. Sans compter que le style ne se met jamais en travers de l’histoire et que les personnages sont parfaits (au mieux gris, au pire, absolument pourris ; jamais totalement bons). On se laisse embarquer. Quand on a terminé le premier, on veut commencer le second et puis le troisième. D’autant plus facilement que l’horreur nous saisit très vite. Ça n’est pas possible, si ? Et si c’est possible, c’est tellement… incroyable. Un voyage dans les cercles les plus éloignés de l’enfer ! Après la trilogie, vous vous direz qu’il n’y a aucune raison d’espérer que l’humanité se sauve…

Alain Marciano