Kikagaku Moyo – Kumoyo Island : Big in Europe

Kumoyo Island, 5ᵉ et ultime album, des Kigakaku Moyo (déjà célébrés sur BENZINE pour les concerts donnés en France durant l’été 2022), propose onze pépites psychédéliques (mais pas que) passées au prisme nippon alliant sophistication, suavité, musique traditionnelle, tropicale et étrangeté : envoutant !

Kikagaku-Moyo
Photo : Robert Gil

Honte à moi qui ai vécu au Japon, assidument fréquenté les cavernes d’Ali Baba discographiques comme Union Records à Shinjuku ou encore mon préféré Big Love Records à Harajuku et qui n’ai pas été fichu de découvrir Kigakaku Moyo sur place… Il aura fallu Benzinemag et mon disquaire favori pour me mettre sur la piste de ce merveilleux groupe japonais, un peu trop tard certes puisque cet album est censé être le dernier. À mon crédit et basé sur ce qui s’écrit ici ou là, Kikagaku Moyo a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger, doit sa réputation à sa présence dès 2014 à Austin au Levitation Psyche Festival et au soutien de Burger Records. Paradoxalement, mon disquaire tokyoïte, pote de Cornelius faisait une fixette sur Burgalat, Limiñanas ou Charlotte Gainsbourg… et a vraiment oublié de me parler de Kigakaku Moyo quand je ne cessais de lui demander de me faire écouter des groupes locaux.

Kikagaku Moyo – Kumoyo IslandMonaka, qui ouvre l’album, aurait très bien pu être chantée par Brigitte Fontaine, également adulée au Japon, s’accompagnant d’un shamisen (instrument traditionnel à trois cordes utilisé par les geishas). Le brassage des genres et origines est la marque de fabrique de Kumoyo Island, pour preuve Meu Mar rappelle les excellents Boogarins…en soi pas une surprise car c’est une reprise d’Erasmos Carlos récemment disparu et pionnier du rock brésilien. Que dire de Nap Song qui nous ramène à Hawaï pas si loin de l’archipel d’Okinawa ? On retrouve ici le tropisme (au sens propre et figuré) des musiciens japonais pour les musiques dites tropicales, Haruomi Hosono, membre de Happy End un des pionniers du psychédélisme au Japon, avait sorti en 1975 le fameux Tropical Dandy.

Même si la première partie de Carboard Pile revient aux fondamentaux actuels psychédéliques au sens où l’entendent The Black Angels, on dérive ensuite vers une transe plus nord-africaine proche d’un Brian Jones trainant à Tanger dans les 60’s.

Tout cela n’empêche pas Kikagaku Moyo de rester japonais jusqu’au bout des frettes, pour preuve leur bassiste enregistrait les bruits des « vending machines » pour un projet musical (du drone). Qui a trainé au Japon comprendra de quoi il retourne : il y a quasiment autant de « vending machines » que d’habitants. On retrouve dans Gomugomu, Yayoi, Iyayoi ou Maison Silk Road, à divers degrés, la marque du Shibuya Sound popularisé par Cornelius dans les 90’s, un genre d’easy listening (qu’on entend dans les grands magasins du quartier de Shibuya), concassé par des instruments électroniques made in Japan (juste avant qu’une crise majeure rattrape le pays).

Comme vous l’aurez sans doute compris, considérer Kumoyo Island comme un autre disque de rock psychédélique serait assez réducteur à l’aune de toutes les influences brassées et interprétées dans ce projet testament.

Écoutez et réécoutez ce disque, vous comprendrez pourquoi l’adjectif suave – qui a une douceur exquise et délicieuse – définit au mieux la gastronomie japonaise :  le sencha, le saké, un sashimi de bonite, un mochi : ils ne sont pas nécessairement forts en goût mais si subtils, vous pouvez désormais ajouter à cette liste Kumoyo Island de Kigakaku Moyo (sans croquer le vinyle pour autant).

Éric ATTIC

Kikagaku Moyo – Kumoyo Island
Label : Guruguru Brain
Date de sortie : 6 Mai 2022