Si, avec Vertigo Days, sorti il y a deux ans, The Notwist nous avaient déjà prouvé leur aptitude impressionnante à se renouveler perpétuellement ; avec cette version live, ils poussent leur génie dans ses retranchements, et délivrent une performance frôlant la perfection.
C’est dans leur studio de Weilheim que les deux frères Acher, accompagnés de leur batteur Cico Beck et de la clarinettiste Theresa Loilb, se sont enfermés pour enregistrer et filmer une performance live de leur dernier album en date, Vertigo Days. Au seuil de l’année 2021, il avait marqué le retour de The Notwist après sept ans d’absence et avait fait grande impression en vertu de sa subtile versatilité et de ses compositions sophistiquées. En nous offrant aujourd’hui une version live de cet album, les Allemands de The Notwist ne se contentent pas de proposer quelques réarrangements, mais montrent qu’ils s’épanouissent dans l’expérimentation et le refoulement de leurs propres limites.
Le groupe installe dans une Intro psychédélique l’ambiance qui ne nous quittera jamais vraiment jusqu’à la fin de l’incursion au cœur de l’Alien Research Center, studio dont le nom lui sied à merveille, tant les sonorités que The Notwist nous proposent tendent vers un autre langage que le nôtre. On ne saurait par ailleurs que trop recommander le visionnage de la captation associée à cet album, incarnation visuelle d’un son psyché à souhait. Les premières notes d’Into Love/Stars plongent l’auditeur dans une atmosphère capitonnée, aux accents ambient et à laquelle vient se superposer la voix troublante de simplicité de Markus Acher. Le groupe nous invite ici à prendre part à un voyage vers une autre dimension, sur une version longue outrepassant les limites d’une composition déjà savamment élaborée sur Vertigo Days, premier du nom. Presque trois minutes supplémentaires par rapport à l’enregistrement originel (soit huit minutes) donnent à chaque élément, même le plus infime, le temps de s’installer, du clavier envoûtant à la clarinette basse, lancinante et rassurante au sein de cette densité sonore, car c’est elle qui nous guide sinueusement sur le morceau suivant.
The Notwist – Vertigo Days : douce mélancolie et recherches sonores audacieuses
Exit Strategy to Myself vient prouver à lui seul que le défi du réarrangement live est amplement maîtrisé par les instrumentistes installés dans le studio : à écouter les deux versions succinctement, on pourrait presque trouver l’initiale « édulcorée », mais il ne faut pas se méprendre, c’est bien que celle-ci relève d’une audacieuse sublimation d’une composition originelle déjà remarquable. Page laissée libre à l’interprétation, le titre devient un formidable agencement spontané et intensément harmonieux. Les élans pop de Where You Find Me nous font redécouvrir la voix sensible de Markus, que ses compagnons subliment de leur maîtrise instrumentale, que ce soit avec les quelques notes subtiles de xylophones ou des percussions homemade. A sa suite, Ship constitue le dernier morceau suivant l’ordre initial de l’album. C’est là l’association parfaite entre un krautrock enivrant et l’onirisme assumé de la chanteuse japonaise Saya (du groupe Tenniscoats), dont la voix constitue le seul élément de sample réutilisé lors de cette performance. Savante combinaison qui confirme la versatilité du groupe.
Nous quittons le sentier (re)battu de Vertigo Days avec un Interlude qui vient distiller un son ambient et quasi cinématographique, pas étonnant lorsque l’on apprend que c’est en réalité une composition réalisée pour le film One of These Days de Bastian Günther. Nous prenons une hauteur vertigineuse avant d’atterrir sur la mélodie jazz d’Into The Ice Age, un revers dont ne s’étonnent pas tant nos oreilles, car toujours la voix de Markus Acher nous guide pour laisser place à l’émerveillement. Ce dernier susurre à son micro, comme s’il ne voulait pas briser le fil tissé depuis le début de la session. Alors, jamais ne tarit la prodigieuse strate instrumentale élaborée par chacun des musiciens dont le talent individuel demeure indissociable de la réussite de l’ensemble. En témoigne une fois encore le jeu de clarinette basse qui dépose subrepticement nos oreilles sur Oh Sweet Fire. On y avait apprécié l’invitation de Ben LaMar Gay sur l’album studio qui lui conférait des consonances trip-hop bienvenues. Si l’on pourrait regretter de ne plus le trouver sur cet arrangement, on comprend bien vite que c’est là l’occasion pour le groupe de donner plus encore d’eux-mêmes, tout en conservant le groove initial du titre. Il livre ainsi une performance intime au possible sur un morceau qui bénéficie d’un étirement de presque deux minutes. C’est Sans Soleil et ses sonorités folk qui s’invite ensuite avec une prise d’amplitude remarquable par rapport à son homologue de 2021. Il doit son titre au documentaire français de Chris Maker dans lequel il établit des réflexions sur la mémoire et la fragilité humaine. « No more runaway », répète Markus Acher, comme une incitation à ancrer profondément son existence dans un monde que l’on sait marqué par les incertitudes et les angoisses. C’est peut-être cette ténuité qui est remarquablement mise à l’œuvre sur cette performance : tout y est à la fois si intense et si subtil, qu’on semble marcher sur un fil tout le long, en proie au vertige mais rassurés et guidés par la voix chaleureuse de Markus. Enfin, Loose Ends vient parfaitement trouver sa place à la fin de ce live. C’est là le triomphe d’une mélancolie contagieuse, ancrée au sein d’une composition savante, où chaque musicien prend le temps d’étendre subtilement les nuées sonores du morceau originel. Batterie et basse deviennent murmures, et au-delà se pose la voix du chanteur, au plus proche de son micro et de nos oreilles. Elle nous guide jusqu’au terme de ce voyage expérimental, où guitares et clavier prennent le relais, semblant vouloir étendre à l’infini la corde émotionnelle, nous gardant en équilibre et nous promettant l’extase… jusqu’à nous laisser pantois une fois les dernières secondes du disque écoulées.
Si on ne doutait pas de la pertinence d’une telle proposition, force est de constater que The Notwist font plus qu’offrir un crédit supplémentaire à Vertigo Days. Loin de n’être qu’un projet subsidiaire, c’est là la démonstration d’un groupe qui n’en finit pas de se réinventer. D’une rare densité, dotées de réarrangements sophistiqués, ces quarante-cinq minutes de live résultent d’un mouvement unique, fluide, et quasiment surréaliste.
Marion des Forts