« Fées des sixties » : de la magie, de la pop, des ailes et des îles

Avec ce gracieux récit de fantasy, les auteur.e.s nous invitent à une escapade dans le Londres des années 60, où les fées s’immiscent dans le mouvement hippie pour mieux réenchanter le monde. Non sans semer un certain trouble…

Fées des sixties (Les Disparitions d’Imbolc) – Jul Maroh & Giulio Macaione
© 2023 Les Humanoïdes associés / Maroh / Macaione

Londres, années 60. Depuis quelques semaines, des disparitions mystérieuses se produisent dans la capitale anglaise, semant la panique. La jeune Ailith, tout juste embauchée au Daily Telegraph, convaincue que les fées kidnappent les humains comme elles l’ont fait pour sa mère il y a plusieurs années, est bien décidée à faire toute la lumière.

Fées des sixties (Les Disparitions d’Imbolc) – Jul Maroh & Giulio MacaioneAnnoncée comme la série-événement au catalogue 2023 des Humanoïdes Associés, Fées des sixties verra la sortie de quatre tomes cette année, le premier étant paru le 1er février dernier. Constituant une histoire à part entière, chaque volume pourra se lire indépendamment des autres.

Par son titre, Fées des sixties joue malicieusement sur l’ambiguïté du terme « fairy », qui en anglais signifie « fée » au sens premier du terme, et dans un langage familier, désigne les hommes efféminés, pour ne pas dire homosexuels. Pour réunir ces deux notions, quoique de mieux que le Swinging London des « Late Sixties », alors que le mouvement glam rock commençait à peine à éclore avec en chef de file David « Ziggy Stardust » Bowie, mi-homme mi-extra-terrestre maquillé comme un vaisseau spatial volé et capable de faire tourner les têtes, autant masculines que féminines. Une époque bénie où le champ des possibles semblait s’ouvrir à l’infini, avant de se fracasser sur la réalité des crises économiques successives.

Ainsi, ce premier volet titré Les Disparitions d’Imbolc nous projette dans une sorte d’uchronie où l’univers mythique d’Avalon (l’île légendaire où vivait la fée Morgane) interfère avec le monde « réel » à travers un portail invisible. Dans cette réalité parallèle, les hippies ont pris l’apparence d’elfes ailés, à l’allure plus ou moins androgyne. Leur présence croissante et leur hédonisme décomplexé inquiète la population londonienne. C’est dans ce contexte que la jeune Ailith va débarquer, alors qu’elle vient d’être embauchée par un grand journal pour enquêter sur une série de disparitions inexpliquées, les soupçons se portant sur la communauté de fées dont la présence devient envahissante pour certains.

Jul Maroh, qui depuis Le Bleu est une couleur chaude refuse la binarité, ne s’est centré.e ici que sur le scénario, confiant les pinceaux à Giulio Macaione, dessinateur italien également multi-casquettes avec plusieurs albums à son actif. Depuis son premier album, on sait que Maroh s’intéresse particulièrement aux questions autour de l’identité sexuelle et des tabous sociétaux. Fées des sixties était pour ellui l’occasion rêvée de faire passer plusieurs messages à destination des « young adults », clairement la cible de cet ouvrage. Ce sont ici deux mondes qui s’opposent. D’un côté l’ancien, celui des normes patriarcales et des conventions sociales pesantes et étriquées, et le nouveau, celui de la magie, de la tolérance et de la célébration de la vie, jugé subversif par ses adversaires. L’héroïne elle-même, bien que très mal disposée envers les fées qu’elle accuse d’avoir kidnappé sa mère, va se trouver confrontée au machisme de ses nouveaux collègues en intégrant son poste de journaliste. De même, le flashback en guise d’introduction annonce la couleur assez vite, une couleur chaude comme il se doit, avec ce baiser enflammé de deux hommes sous l’ère victorienne…

Si l’univers des Disparitions d’Imbolc fait bien comprendre que le tant conspué « wokisme » de notre époque ne date pas d’hier, l’ouvrage recèle maints motifs d’être séduit, ne serait-ce que par le talent de Macaione. Certes, si son dessin donne une impression de déjà-vu, il n’en révèle pas moins chez son auteur une assurance et une finesse incontestable dans la description de cet univers au charme… féérique. Fabs Norcera quant à lui restitue bien l’ambiance colorée qui va de pair avec ces « insouciantes » années pop. Sur le plan du scénario, on pourra regretter ces petites imprécisions et autres ellipses qui peuvent parfois perdre un peu le lecteur.

Globalement, ce récit imprégné d’Heroic fantasy moderne, sans dragons cracheurs de feu ni orques effrayants, dispose de nombreux atouts pour conquérir son public. On reste curieux de voir ce que donneront les prochains volumes, tous réalisés par des auteurs différents, un parti pris qui constitue assurément un des intérêts de cette nouvelle série axée sur l’inclusion et la visibilisation des minorités, conceptualisée par Gihef et Christian Lachenal.

Laurent Proudhon

Fées des sixties : Les Disparitions d’Imbolc
Scénario : Jul Maroh
Dessin : Giulio Macaione
Éditeur : Les Humanoïdes associés
56 pages – 15,50 €
Parution : 1er février 2023

Fées des sixties : Les Disparitions d’Imbolc — Extrait :

Fées des sixties (Les Disparitions d’Imbolc) – Jul Maroh & Giulio Macaione
© 2023 Les Humanoïdes associés / Maroh / Macaione