« Sakra, la légende des demi-dieux » de Donnie Yen : le petit retour du grand cinéma chinois

Marquant une réapparition inattendue dans les salles françaises du wu xia pan, Sakra de Donnie Yen est loin d’être une réussite complète, mais reste un grand, grand plaisir, celui de retrouver le meilleur du cinéma chinois traditionnel.

Sakra
Donnie Yen – Copyright Eurozoom

Dans les années 90, époque bénie pour les cinéphiles qui ne se contentaient plus des auteurs occidentaux, déferlèrent sur les écrans de cinéma parisiens une multitude de films d’arts martiaux chinois, principalement produits et réalisés en Chine Populaire et à Hong Kong au cours des décennies précédentes. C’est ainsi que nous découvrîmes le genre appelé Wu xia pian, soit les « films de sabre chinois », souvent adaptés d’œuvres littéraires « classiques » (le wuxia), et en particulier ceux produits par les Shaw Brothers. Nous nous émerveillâmes aussi bien devant les films de King Hu, de grandes œuvres cinématographiques (Raining in the Mountain, l’Hirondelle d’Or et A Touch of Zen, immanquables) que devant des dizaines de films beaucoup moins « artistiques », mais d’une vitalité parfaitement excitante. Et puis le temps passa, et avec la disparition de Hong Kong au sein de la Chine, l’ouverture de la Chine sur l’Occident et son intégration croissante des codes du cinéma hollywoodien, il sembla que le Wu xia pan avait vécu son âge d’or, tout au moins en termes de diffusion en Occident, même si subsistaient de valeureux résistants comme Tsui Hark (avec sa saga du Detective Dee)…

Sakra afficheEt puis voici que Donnie Yen, l’acteur phare de Hong Kong ayant interprété le rôle iconique de Ip Man, dans la série de films consacrés au grand maître d’arts martiaux, réapparu dans le récent John Wick 4, nous offre ce Sakra, la Légende des demi-dieux, qu’il réalise lui-même et interprète. Sakra est une adaptation d’un roman fleuve de la littérature chinoise, Demi-Gods and Semi-Devils, de Jin Yong ( une sorte d’Alexandre Dumas local, pour faire simple) : l’œuvre en question étant considérée généralement par les spécialistes comme totalement inadaptable, vu sa longueur et sa complexité, il est logique que les critiques principales qui seront inévitablement faites au film de Donnie Yen sont qu’il est… incompréhensible, obscur, confus, simplificateur, rempli de raccourcis et de coïncidences absurdes. Et c’est vrai, au point que tout le monde s’accorde à dire qu’il vaut mieux ne même pas essayer d’en comprendre l’intrigue et seulement profiter de ses nombreuses et spectaculaires scènes d’action… ce qui est évidemment un problème.

Alors, cette intrigue ? Nous sommes au Xème siècle. L’Empire Song est en guerre contre l’Empire Liao dirigé par Khitan. Qiao Feng, né à Khitan, est déposé, bébé, devant la maison d’un couple Song, qui va l’élever. Il grandit et devient un maitre d’arts martiaux, et le chef de la secte des mendiants. Un jour, il est accusé d’avoir tué le chef adjoint Ma Dayuan par la femme de ce dernier, et il est expulsé de la secte après que son origine khitan a été révélée. Il se retrouve ensuite accusé des meurtres de ses parents, mais aussi de son maître Xuanku, alors qu’il trouve leurs cadavres. Il va lui falloir identifier ceux qui sont à l’origine de cette machination contre lui…

On le voit, le récit de Sakra est intéressant, mais la prolifération de personnages et la multitude de rebondissements et trahisons, en particulier dans la seconde partie, sont très mal gérées dans un film qui aurait dû faire le double de ces deux heures dix actuelles pour rendre justice à son sujet. Mais bon, parlons donc de ces enthousiasmantes scènes d’action, qui stupéfient – et à juste titre – le spectateur et le critique français, peu habitués à une telle débauche de mouvements et de destruction : les combattants volent dans les airs, exécutent des cascades inouïes, se livrent à des combats époustouflants à main nue, et à des duels hystériques à l’épée et au sabre. Tout en détruisant systématiquement les décors, visiblement construits pour ça (et non pas créés par ordinateur !). C’est beau, c’est spectaculaire, c’est parfaitement réjouissant, c’est même régulièrement très drôle, et il est impossible de ne pas passer d’excellents moments devant cette débauche de violence stylisée et irréelle, qui ferait presque passer les scènes d’action de John Wick, justement, pour du Marguerite Duras. Ces excès en tous genres, sans même parler de l’usage d’une force mystique, celle du « kung fu » particulièrement puissante (on sait que Lucas s’est inspiré de cette mythologie chinoise des arts martiaux pour sa « Force » et ses jedis…), feront évidemment grincer des dents ceux qui préfèrent le cinéma rationnel, mais quand même, quelle énergie, quel enthousiasme dans ces grands moments de délire destructeur !

Sakra

Les véritables connaisseurs du genre remarqueront que, étant donné l’âge de Donnie Yen, qui approche la soixantaine, il n’est plus capable des mêmes exploits que dans sa jeunesse, obligeant la mise en scène à user d’artifices divers (accélérations, coupes…à pour dissimuler ses limites. Et que, du coup, la pureté et la beauté des gestes des combattants sont largement dégradées par rapport aux chefs d’œuvre du genre. Ils ont raison, mais pour les quasi-néophytes que nous sommes, tout cela passera aisément au milieu du tourbillon ininterrompu d’action…

Bref, Sakra n’est pas du tout un grand film d’arts martiaux, un grand wu xia pan. Mais il reste l’un des films les plus incontournables du moment pour quiconque ne saurait se contenter du monde étriqué de la cinéphilie occidentale.

Eric Debarnot

Sakra, la légende des demi-dieux
Co- production Chine et Hong-Kong de Donnie Yen et Kai-Wai Kam
Avec : Donnie Yen, Yuki Chen, Eddie Cheung…
Genre : Arts martiaux, wu xia pan
Durée : 2h10
Date de sortie en salle : 10 mai 2023