« Wonderfuck », de Katharina Volckmer : « Allo, SOS monde en perdition, j’écoute… »

Deuxième roman pour Katharina Volckmer, Wonderfuck est un petit uppercut littéraire qui bouscule les idées reçues, tout en adoptant un style aussi provocant que jubilatoire.

Katharina Volckmer 2024
© JF Paga

Dans la vie, comme dans son boulot, Jimmie s’ennuie. Il est standardiste dans un call center londonien, et récupère et écoute les plaintes des clients de palaces dans le monde entier qui ont choisi son entreprise pour se la couler douce et avoir des vacances souvent amplement méritées. Sauf que s’ils appellent Jimmie, c’est que cela ne va pas. Jimmie va donc s’évertuer non pas à solutionner leurs problèmes matériels, mais à comprendre ce qui les tracasse et donc explorer les désagréments de la vie qu’ils mènent et écouter leur frustration permanente, quitte à s’immiscer dans leurs existences de bourgeois en permanence insatisfaits.

Est-ce ce aussi pour exorciser son propre mal-être ? Possible car la vie personnelle de ce personnage extravagant et obèse
est elle aussi très compliquée : homosexuel presque refoulé, il s’invente, dans cette espace de travail très impersonnel, une vie complètement folle faite de petits scénarios érotiques entre employés dans les toilettes ou de virées assez barrées avec ses copines de boulot dans des endroits très improbables, mais surtout complètement imaginaires. Une vie de célibataire urbain plutôt solitaire, mais très imaginative. Il est pourtant l’incarnation parfaite du jeune millenial tiraillé entre une famille dysfonctionnelle, une perception du futur aussi pessimiste qu’imprécise, et une volonté d’être une personne très atypique dans un monde voué à tous les dérèglements. En quelque sorte, un adulescent qui ne baise pas, qui ne bosse pas là où il veut, empreint d’une misanthropie relative à l’égard de ses clients comme de ses collègues de boulot. Le portrait est aussi cynique que tristoune, et pourtant, le récit est toujours alerte, acide et terriblement drôle.

Katharina Volckmer a en effet choisi de se moquer de ses personnages largués, mais avec une empathie légère qui évite l’écueil attendu d’une charge nette et vaine contre un capitalisme actuel qui broie lentement ceux qui rêvent d’autre chose. Le réalisme de départ dérive rapidement vers une loufoquerie irrésistible, une énergie dérisoire dans l’absurde et le méchamment comique. Et si on rajoute à ça un langage et des images souvent crues et surprenantes, on se laisse rapidement happer par cette longue digression d’un Jimmy aussi énervant que poilant, disséminant son passé, ses désirs, ses rêves au milieu de ses conseils débiles et dispendieux à des clients de luxe qui n’auront jamais gain de cause ni des compensations à tous les désagréments qu’ils subissent dans leurs lieux de villégiature.

Le parti-pris dans l’écriture de Wonderfuck divisera forcément (un portrait sans véritable interruption ni chapitre qui permette une respiration) mais le lecteur est obligatoirement emporté dans ce tourbillon de mauvaise foi, de délire un peu paranoïaque et de psychodrames intérieurs grotesques ou fatigants. On peut aussi être assommé au final, au terme des anecdotes fantasques de ce truculent personnage, mais le jeu en vaut la chandelle : contemporain dans son style comme dans ses préoccupations, ce roman aux allures de futur culte embrasse ces années 2020 avec autant d’acuité que de distanciation insolente.

Jean-François Lahorgue

Wonderfuck
Roman de de Katharina Volckmer
Traduit de l’anglais par Colin Reingewirtz.
Éditions Grasset
240 pages – 20,50€
Date de parution : 10 Janvier 2024