La guerre en Yougoslavie, dans les années 90, fait désormais partie de l’histoire, de celle qu’on a déjà oubliée et qu’on n’étudie pas à l’école. Pourtant, ce que Jours de chasse nous rappelle, c’est que ce conflit portait déjà en lui toutes les signes des haines ethniques du XXIe siècle.

30 ans déjà que l’une des guerres les plus atroces que l’Europe ait connues depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale (et bien sûr, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par les Russes) a pris fin : la « guerre de Yougoslavie ». Une guerre non conventionnelle, « moderne » malheureusement, à l’image de ces « guerres civiles » qui éclosent régulièrement sur la planète : on a vu durant de longues années les frères d’entretuer, les familles exploser, la haine ethnique déferler sur un pays (certes artificiellement créé…) et le désintégrer. Serbes contre Bosniaques, Chrétiens contre Musulmans, voisins contre voisins… Une sorte conflit « modèle » présageant les grands déchirements intra sociétaux du XXIe siècle.
Jours de chasse a été écrit par Christophe Dabitch (Dabic est le nom d’origine de son ancêtre – yougoslave – avant qu’il n’émigre en France en 1916), écrivain et scénariste, travaillant régulièrement sur le conflit yougoslave, et sur les questions d’identité nationale et de coexistence de populations séparées par leurs ethnies ou leurs religions. A partir de faits réels, il a construit ici une histoire imaginaire qui raconte le retour au pays, en plein conflit, de Milan, un jeune serbe exilé depuis des années en Finlande : retrouvant deux amis d’enfance, il est entraîné dans une « partie de chasse »… qui s’avère être un embrigadement dans une milice serbe prête à attaquer un village « ennemi » situé sur la « frontière » entre « nous » et « les autres » (Serbie et Bosnie ?).
Milan va ainsi aller et venir à travers la « ligne de front », une simple petite rivière et un pont, infiltrant la vie encore paisible (ou presque) des villageois menacés : est-il un traître, mais si oui, qui trahit-il ? Est-il une sorte d’agent double involontaire ? Y a-t-il de toute manière la moindre logique raisonnable derrière ces combats ? Comment échapper au cycle de la violence et des morts ?
Milan ressent au fond de lui la nostalgie presque irrationnelle d’un pays « uni » qui n’existe plus, et qui ne revivra jamais. Il affronte dans Jours de chasse l’horreur pure et simple, sans être jamais capable de situer (ni de se situer lui même…) les camps du Bien et du Mal. Et même l’amour ne pourra rien faire pour éclairer l’obscurité de la nuit tombée sur les Yougoslaves, quelle que soit leur ethnie, leur religion.
Jours de chasse (dont le titre évoque volontairement une BD incontournable de Christin et Bilal, Partie de Chasse, tournant autour des derniers soubresauts politiques de l’URSS) est un livre lui-même très sombre, que ce soit dans son scénario ou dans ses images charbonneuses, faussement simples, mêlant habilement réalisme et stylisation, créées par Jorge Gonzáles, dessinateur argentin vivant en Espagne. La lecture de Jours de chasse n’est pas toujours aisée, le récit progressant avec un minimum de dialogues et sans texte explicatif, ce qui en rend au premier abord l’accès inconfortable. Mais, plus on progresse, plus la tension monte, plus les enjeux deviennent prenants, et le lecteur se retrouve prisonnier du dilemme de Milan, s’identifiant sans peine à ces gens « simples » piégés mortellement par une situation qui frôle par instants l’absurde.
Un très beau livre, très juste, sur ce qu’est réellement une guerre civile, loin du sensationnalisme et des images chocs des journaux télévisés. Qui nous rappelle qu’il ne faut pas oublier l’histoire de la Yougoslavie, ni l’impuissance de tous à empêcher les massacres, ni encore l’indifférence d’une grande partie du monde : notre futur en dépend.
Eric Debarnot
Jours de chasse
Scénario : Christophe Dabitch
Dessin : Jorge González
Editeur : Futuropolis
136 pages – 20 €
Date de parution : 5 mars 2025
Jours de chasse – extrait :
