La Belle personne

aff film_7.jpgAvec La Belle personne, Christophe Honoré clôt sa trilogie commencée avec Dans Paris (2006) et poursuivie avec Les Chansons d’amour un an plus tard. Trois films tournés à  l’arrache, coup sur coup, avec des moyens modestes, ayant en commun un décor identique : un Paris hivernal, gris et pluvieux et une thématique récurrente : le sentiment amoureux dans tous ses états.

Si les deux premiers opus étaient largement influencés par la Nouvelle Vague – Truffaut et Godard – et par le cinéma enchanteur de Jacques Demy, La Belle personne parvient à  se détacher de ces références pour d’ailleurs aussitôt en faire jaillir d’autres. On y reviendra. La Belle personne est une libre adaptation de la Princesse de Clèves, transposée dans un monde contemporain, celui d’un lycée huppé – quoique fort vétuste – des beaux quartiers parisiens. Le film en reprend pourtant le thème essentiel : le renoncement à  l’amour d’une jeune fille qui accepte par ailleurs une liaison insatisfaisante et terne. Nous ne sommes plus en plein coeur du seizième siècle à  la cour du roi Henri II. Donc pas de mariage obligé ni d’autorité maternelle exhortant la jeune fille à  cesser d’envisager cette relation. Au contraire, Junie vient de perdre sa mère, raison pour laquelle elle entre au lycée Molière, où son cousin Matthias est élève. Présentée à  sa bande, elle consent à  devenir la fiancée de Otto, garçon blond et calme et tombe amoureuse de son prof d’italien.

Christophe Honoré réussit son film à  deux niveaux : transposer une situation de plusieurs siècles en en montrant l’aspect intemporel et dresser le portrait d’un groupe d’adolescents en évitant la nostalgie et l’étude sociologique. Le langage des lycéens, la jeunesse des enseignants et les rapports amicaux qu’ils entretiennent avec éloignent d’emblée le film de tout souci de véracité. Dans sa manière d’appréhender les moeurs adolescentes – le corps, les apparences davantage que les échanges – Honoré est en droite ligne du travail effectué par Gus Van Sant sur Elephant. Il y a au moins dans les deux films la même grâce et la même beauté. Sans doute une identique fascination pour cet état éphémère de tous les possibles.
En 90 minutes, le réalisateur de Ma mère multiplie les chassés-croisés et imbrique une seconde intrigue à  la principale, articulée autour de la découverte d’une lettre d’amour. On reconnaît là  la volonté du cinéaste à  s’écarter des schémas traditionnels qui fondent la relation amoureuse : le trio était à  l’honneur dans Les Chansons d’amour, ici c’est le couple, qui peut être fille-garçon ou garçon-garçon. Qu’importe l’époque, le sexe, la condition, l’amour s’accompagne toujours de souffrance, de déception et ne peut durer. C’est pourquoi à  la perte certaine et déchirante Junie choisit-elle la fuite et le renoncement.

Caméra vive qui utilise toutes les ressources de ce lycée qui tient plus du cloître, dialogues incisifs, susurrés ou mitraillés, on identifie de plus en plus aisément la manière de travailler de Honoré et son univers. D’autant plus que les coups d’oeil aux longs-métrages précédents ne manquent pas…jusqu’à  cette idée saugrenue de refaire pousser la chansonnette à  Grégoire Leprince-Ringuet. Il y a beaucoup moins d’émotion dans La Belle personne que dans Les Chansons d’amour. Parce que le sujet est moins fort, l’interprétation moins convaincante – Léa Seydoux est proche de susciter l’agacement et peine à  donner une vraie profondeur à  son personnage tourmenté. Il n’en reste pas moins que le film offre de très beaux moments, comme celui où le prof d’italien écoute caché la conversation entre Junie et Otto.
Christophe Honoré continue de diviser : porté aux nues d’un côté, vilipendé et honni de l’autre. Réaction disproportionnée dans les deux cas, elle tend néanmoins à  mettre à  jour une certaine fracture générationnelle où les » jeunes » sentimentaux et coeur d’artichaut, succomberaient et les » vieux » aigris et amnésiques, regarderaient tout cela avec distance, voire ennui. Reste donc à  choisir son camp.

Patrick Braganti

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La Belle personne
Film français de Christophe Honoré
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h30
Sortie : 17 Septembre 2008
Avec Léa Seydoux, Louis Garrel, Grégoire Leprince-Ringuet

La bande-annonce :

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