Flux et reflux soniques, quand Mermonte se met en Mouvement

« Mouvement » c’est une chevauchée sur les embruns sonores, à la conquête d’une forteresse de granit où vit un sage. C’est la nostalgie qui sert de matière première à un déferlement de guitares pas avares. Mermonte réussit un carton avec sa livraison de 2018 et remet Rennes au centre de la France musicale.

Mermonte par Yoann Buffeteau
Photo Mermonte © YoannBuffeteau

Si tu ne connais pas encore Mermonte, projet imaginé et emmené par le trentenaire rennais Ghislain Fracapane, je t’envie. Vraiment, tant il y a un plaisir jouissif à se rendre compte que Mermonte, projet muti-instrumentiste étendu à une dizaine de participants depuis qu’il a mûri dans le ciboulot de son créateur, est tellement protéiforme, tellement excellent et … Qu’il est né dans l’hexagone. Je t’envie de découvrir le groupe comme moi je l’ai découvert, il n’y a pas si longtemps.

Mermonte mouvementSi tu connais déjà Mermonte, et que je t’apprend seulement la sortie de son Mouvement comme tu appris la sortie d’Audiorama après la chronique dithyrambique de Denis Zorgniotti, tu perds le sel de la découverte. Zut. Mais rassure-toi, tu ne perds aucunement la qualité d’écoute à réserver à ce nouvel album. Ouf.

Il y a des « mauvaises bonnes raisons » d’apprécier Mouvement. La nostalgie en est une. Voici en 2018 un groupe qui convoque le mouvement bruitiste de la seconde moitié des années 90 avec une folle capacité à faire exister juste ce qui est nécessaire de crescendo, d’effets de spirales sonores et d’arrangements subtils qui se glissent dans une tornade construite comme une pièce de théâtre à chaque titre : avec introduction, climax et decrescendo mortifère, conclusif. Ca ressemble un peu à du Mogwai des origines, à du Jim O Rourke via Tortoise dans la subtilité intermittente des sons choisis, des effets réussis. Une sorte de madeleine de Proust dont Fracapane aurait réussi la revisite avec une recette qui en garde tous les ingrédients mémoriels.

Dans la même veine des raisons discutables, il y a l’attitude groupie. Dans Mouvement, il y a Laetitia Sadier, de Stereolab, qui enthousiasma mes années universitaires avec son français approximatif d’expat’ en Albion et qui retrouve ici un écrin à sa mesure. Il y a aussi le seigneur de Loire Atlantique, en la personne de Dominique A qui prouve qu’il arrive à toujours se glisser dans les habits taillés pour lui par un groupe qui lui en fait la demande. Il y parvient avec une efficacité renouvelée dans la manière de ne pas tirer la couverture à lui, au service d’un projet dont il n’est pas la vedette (malgré son statut désormais iconique).

Il y a aussi, au rayon des mauvaises causes à l’affection que je porte au groupe, mon côté fan d’un projet porté par un adulte qui, à l’heure de la gloire personnelle glorifiée et du selfie perpétuel, arrive à se planquer jusque dans le chant derrière un collectif qui le désincarne complètement. Quand les invités de marque cèdent la place, c’est souvent à un chant choral et paritaire. Respect. Signalons au passage qu’à côté de Dominique A et Laetitia Sadier, Mermonte s’est adjoint deux autres organes vocaux en les personnes de Devin Yuceil (Delta Sleep) et Stuart Smith (Ttng).

Et puis il y a les vraies bonnes raisons d’aimer Mouvement. D’abord parce que l’album porte son nom avec fierté. Tout n’est que flux et reflux réfléchis, vaillants, énergiques, ou d’une fougue habilement cachée dans un gant de velours. Ca gronde, ça tonitrue, derrière ce que Mogwai a perdu depuis bien longtemps: des patterns de gratte qui se fredonnent, qui émeuvent, qui attrapent l’auditeur et l’emmènent dans le flot resserré sur les 37 minutes bénies des amateurs de cassette audio du temps jadis – si tu as moins de vingt ans, tu ne peux pas comprendre l’importance de la limite à 45 minutes de tout bon album -.

Il y a de la guitare, dans Mouvement. Beaucoup de guitares, mais pas que. De sa passion pour Tortoise, Mermonte conserve les ruptures de rythmes et le glockenspiel, le goût pour les morceaux qui s’étirent progressivement, se lovent et s’enroulent autour d’une ossature mélodique. Les arrangements sont faits de cordes frappées, pincées, (mention à la basse, présente dans le mix pour entretenir une rythmique presque ethnique) mais aussi de cuivres ou de boucles comme dans les meilleures productions islandaises. La voix est souvent utilisée comme un instrument à part entière enchevêtrée sur deux timbres différents, elle ajoute un peu de cieux éthérés à l’ensemble. Parfois, parce que ça rebondit et ça balance au travers d’un ouragan de distorsion, j’ai l’impression de croiser des influences TV on the radio-iennes , à l’époque du Desperate youth, blood, thirsty babes.

C’est bon, c’est beau. A la croisée des chemins entre la nostalgie post-rock, et renouvellement bruitiste, Mermonte place un album de rock quint-essentiel. La grammaire de Mogwai, la facilité à pondre des ritournelles, comme Stereolab, l’efficacité des paroles en français quand nécessaire. Une synthèse entre l’ancien et le nouveau monde, entre la noise et la grâce. Assurément le plus bel album qu’il m’a été donné d’écouter en 2018. Cocorico !

 

Denis Verloes

Mermonte  – Mouvement
Label : Room Records
Date de Sortie le 19 octobre 2018