La Verdeur de Kurt Wagner et de Lambchop

Ceux qui sont surpris voire choqués  par l’orientation électronique de Lambchop depuis deux albums, Flotus en 2016 et  ce This (Is What I Wanted To Tell You) se sont peut-être fait une image préconçue et forcément un peu fausse de la bande de Nashville entre Country Ouatée et balades crépusculaires. Retour sur un malentendu.

Certains disques connaissent une destinée singulière, à la première écoute, on ne sait trop que en penser ni quoi en dire, ils nous désarçonnent, parfois, on les déteste même. Pourtant, ce sont ces mêmes disques qui deviendront nos compagnons d’infortune, les plus fidèles assurément.

J’entends déjà certains d’entre vous, s’écrier :  » Qu’est-ce que c’est que ces choix de production, cette voix à l’autotune ? Ces mélodies salies par une production électro ? « . Et si parfois, le propre d’un grand disque était de laisser un drôle de goût dans la bouche, une irritation au fond de la gorge qui ne se calme pas ?

This (Is What I Wanted To Tell You) nouvelle livraison de Lambchop après le renversant et (déjà) déroutant Flotus appartient à cette catégorie. J’entends encore certains d’entre vous  » Mais qu’est-ce qui lui a pris sous sa casquette au père Wagner pour virer electro comme ça ? ». Pourtant, à bien y regarder, cette orientation électro ne remonte pas seulement à 2016 et Flotus. Dès 2005, Kurt Wagner mêlait ces sonorités-là à sa country avec sa collaboration avec Hands Off Cuba dont on retrouvera des traces sur Damaged dans les introductions presque drone de certains titres. IL ne faudrait pas non plus oublier sa participation à Give It, titre co-composé avec le collectif electro-pop X-Press 2.

En s’intéressant à des sonorités volontiers Hip-Hop, Kurt Wagner prolonge une fois encore son intérêt pour les musiques noires. Sur What Another Man Spills (1999), il collaborait avec Curtis Mayfield à qui il rendait un hommage appuyé sur le chef d’oeuvre Nixon (2000).

Autant Flotus osait les chemins de traverse et les expérimentations, autant This (Is What I Wanted To Tell You)  ramène un peu d’académisme dans cette singularité. La démarche artistique n’est pas sans rappeler celle de Jamie Stewart des sous-estimés Xiu Xiu pour cette même propension à vouloir salir de menus parasites une ligne mélodique claire. Pourtant, le piano de Tony Crow est peut-être plus présent ici que sur Flotus et dessine quelques traits apaisants. A la basse, Matthew Swanson n’en finit pas d’inventer un jeu absolument divin.

Etrangement, à l’écoute de TThis (Is What I Wanted To Tell You), on  ne peut s’empêcher de penser au Black Star (2016) de David Bowie pour cette même déconstruction, cette déroute entre Jazz et Hip Hop, cette mélancolie qui ne dit jamais pleinement sa douleur.

Plus ramassé que Flotus, This (Is What I Wanted To Tell You) dit beaucoup avec peu, déroute et intrigue. Il ne faut jamais enfermer trop vite un artiste dans une case. Pourtant, de disque en disque qui s’affirmait par une révolution du détail, Kurt Wagner et Lambchop nous l’avaient prédit, un jour, viendraient les heures d’une révolution silencieuse. Flotus en fût la première marche, This (Is What I Wanted To Tell You) en est le point d’équilibre,du moins autant que l’on puisse en juger quand on est un pied dans le vide et l’autre sur une corde raide.

Greg Bod

Lambchop – This (Is What I Wanted To Tell You)
Sortie le 22 mars 2019
Label : Merge Records

2 thoughts on “La Verdeur de Kurt Wagner et de Lambchop

  1. Je suis bien d’accord avec toi, même si je n’ai pas encore écouté cet album. J’avais bien aimé FLOTUS d’ailleurs. Le gros problème est que sur scène, là où normalement Kurt Wagner fascine et bouleverse, cette nouvelle formule était surtout prodigieusement ennuyeuse…

    1. Personnellement, pour avoir vu Lambchop plusieurs fois sur scène, je trouve que Kurt Wagner et ses musiciens (Tony Crow et Matthew Swanson en tête) proposent toujours quelque chose de différent en concert, parfois hasardeux, parfois raffiné mais toujours d’une belle richesse. J’ai adoré la dernière incarnation scénique (Flotus) et je ne pourrai les voir sur cet album malheureusement. J’aime être désarçonné et ce choix dans l’autotune ne me semble pas un simple accessoire mais une possibilité nouvelle pour Wagner d’explorer des sons inédits avec sa voix et de modifier son type de narration dans le processus du songwriting

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