[OCS] Mrs Fletcher, saison 1 : fantasmes et passage à l’acte

Vous avez craqué sur la formidable Kathryn Hahn dans I Love Dick ou Transparent ? Retrouvez-la au centre de Mrs Fletcher, une nouvelle réussite de la maison HBO !

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Comment ne pas aimer HBO, qui sait, parmi toutes ses séries spectaculaires à prestige et dotées de gros moyens, retrouver de temps en temps la voie d’un « cinéma » plus intime, plus léger, et, avouons-le, à notre goût largement aussi, voire plus, passionnant ? On a d’ailleurs l’impression, en savourant ce délectable Mrs Fletcher, que HBO est allé cette fois braconner sur les terres les plus fécondes d’Amazon Prime Video, puisqu’on ne peut s’empêcher de penser ici aux réussites de Transparent ou de I Love Dick, sans doute à cause de la présence de la formidable (raccourci pour sexy, pétulante et bouleversante…) Kathryn Hahn, qui produit cette adaptation par lui-même d’un roman de Tom Perrotta.

Il convient de rassurer tous ceux qui se seraient perdus dans les méandres doloristes de The Leftovers, Mrs Fletcher offre seulement un portrait modeste de cette « crise de la quarantaine » qui n’est plus seulement l’apanage des hommes : une fois le divorce entériné et l’enfant parti du nid, comment reconstruire une vie – amoureuse, mais surtout sexuelle – qui ne soit pas asservie aux conventions et aux règles, telle est la question que va se poser, puis devoir résoudre Eve… Si l’on peut craindre a priori un traitement à la fois puritain et putassier – caractéristique de la fiction populaire américaine – de la sexualité, on sera vite également tranquillisés : Perrotta n’a certes pas le brio et l’intelligence d’une Jill Soloway, mais son Mrs Fletcher a l’élégance d’éviter toute grivoiserie, sans tomber non plus dans la pudibonderie. Homosexualité, transsexualité, rapports inter-raciaux, sexe chez les personnes âgées (délicieuse introduction à la série, puis beaux moments d’émotion sur ce sujet inhabituel), domination, triolisme, etc. sont évoqués, sans aucun point de vue moral, et, heureusement, sans effet sensationnaliste ou « de mode ». C’est d’ailleurs en condamnant clairement la pornographie et son influence de plus en plus visible sur les comportements sexuels des ados (… et là, oui, il y a un point de vue moral !) à travers le personnage épatant de Brendan, le fils d’Eve, qui va devoir quant à lui réapprendre à regarder les femmes autrement, que Perrotta explicite clairement le propos de la série : l’écart béant entre fantasmes et passage à l’acte, dont les analystes savent bien qu’il n’est surtout pas fait pour être comblé !

Or, cette fameuse impuissance / frigidité, doublée de la difficulté fondamentale à construire quelque relation que ce soit avec l’autre (symbolisée par le joli personnage de Julian, bien porté par un Owen Teague dont on aura plaisir à suivre désormais la carrière), quoi de plus riche scénaristiquement ? Que l’on décline frustrations et empêchements divers et variés sur le mode comique (Mrs Fletcher fait souvent beaucoup rire… ) ou dramatique (… mais la tragédie n’est jamais loin), l’effet reste imparable. Que nous ayons 20 ans (comme Brendan), 40 ans (comme Eve) ou plus, que nous soyons hétéros, homos ou bis, célibataires, mariés ou divorcés, Mrs Fletcher est une série douce-amère qui nous regarde, et qui parle de nous.

Alors, après une conclusion brillante lors d’un dernier épisode fulminant, qu’est-on en droit d’attendre d’une seconde saison de cette série prometteuse ? Idéalement, un peu plus de crudité encore dans la représentation du sexe, mais surtout, surtout, l’audace d’aller questionner plus profondément encore la noirceur qui est en nous, pour éviter le piège de la comédie consensuelle qui sommeille toujours sous l’apparence de la transgression. C’est ce que la grande Jill Soloway sait si bien faire, et on n’en attend pas moins de Tom Perrotta

Eric Debarnot

Mrs Fletcher – Saison 1
Série américaine de Tom Perrotta
Avec : Kathryn Hahn, Jackson White, Owen Teague…
Genre : Comédie dramatique
7 épisodes de 30 minutes
Mise en ligne (OCS) : octobre – décembre 2019