Godspeed You! Black Emperor – G_d’s Pee AT STATE’S END! : une expérience quasi mystique…

4 ans après Luceferian Towers, les canadiens de Godspeed You! Black Emperor reviennent avec nouvel un album magnifique, lourd et majestueux. Quatre morceaux beaux et terrifiants qui vous emmènent dans la vallée de la mort.

GYBE-2021

“The car’s on fire, and there’s no driver at the wheel/And the sewers are all muddied with a thousand lonely suicides/And a dark wind blows”. Quiconque a entendu ces mots, dans cette chanson – The Dead Flag Blues, la première du premier album de Godspeed You! Black Emperor, F♯ A♯ ∞ – ne peut pas avoir oublié la joie, l’excitation et la peur alors ressentis. Cette “chanson” qui n’en est plus vraiment une est incroyablement belle et terrifiante. Ce n’est pas seulement le vent qui est noir. Tout est noir. “The buildings toppled in on themselves/Mothers clutching babies/Picked through the rubble/And pulled out their hair”. Les images qui immédiatement viennent à l’esprit de l’auditeur ont sombres, glauques. Le soleil se couche sur un paysage sinistre et désolé, mais beau. “The skyline was beautiful on fire/All twisted metal stretching upwards.” Une ville qui a été bombardée, il y a peut-être des décennies. Des usines rouillées. C’est la fin de la journée. Ou la fin de la civilisation. “We woke up one morning and fell a little further down/For sure it’s the valley of death.” Mais la musique est si belle, si sophistiquée, si émouvante, si subtile qu’on ne peut pas regretter d’être là. Si c’est le bruit que fait le monde qui s’écroule, alors que le monde s’écroule.

Godspeed You! Black Emperor 20217 albums et presque 15 ans plus tard, la musique de GY!BE produit toujours les mêmes effets. C’est au moins le cas de G_d’s Pee AT STATE’S END!, le dernier album du groupe. Un album beau et terrifiant. 4 morceaux seulement mais quelque chose comme 50 minutes de musique qui laisseront épuisés celles et ceux qui les écouteront, effrayés mais apaisés et heureux, d’une certaine façon. Ce que la musique peut faire, quand même ! Ce que peut faire ce groupe ! Pour être honnête, la plupart des albums du groupe sont excitants, électrisants. Celui-ci est pourtant probablement un de leurs meilleurs. L’écouter est quasiment une expérience mystique, presque religieuse. Ce qui veut aussi dire que ne pas adhérer à cette expérience, ne pas entrer dans l’album le rendra pénible et boursoufflé !

G_d’s Pee AT STATE’S END! commence avec A Military Alphabet (five eyes all blind) (4521.0kHz 6730.0kHz 4109.09kHz), doucement d’abord, quelques minutes de tranquillité, comme si une porte avait été ouverte, juste assez pour nous laisser entendre quelques bruits, les échos de quelque chose de vague et lointain. Quelques instruments, une guitare qui nous chante une sorte de comptine – une comptine d’un monde dysfonctionnel. Puis, lentement, la musique devient plus forte, diabolique. Le rythme s’accélère, tous les instruments se rejoignent pour créer un courant puissant et tourbillonnant qui dure quelque chose comme 15 minutes. Les guitares pleurent, crient. Le vent est noir et il souffle toujours.

Et cela s’arrête. Fire at Static Valley, le second morceau arrive, un soulagement, un baume. Des oiseaux vous accueillent. Un bruit sourd—des pas, le brigadier qui annonce une pièce de théâtre… et les guitares, les échos d’un chœur des âmes qui se lamentent. Le morceau est quasi-mystique, un chant religieux comme si Arvo Pärt avait rencontré Philip Glass ou trop parlé avec Frank Frazetta ou Vaugn Bodé. Mais cela ne dure pas, quelques minutes seulement, la piste la plus courte de l’album, une possibilité de respirer un peu, une possibilité bienvenue avant que ne se déclenche l’avalanche de GOVERNMENT CAME (9980.0kHz 3617.1kHz 4521.0 kHz) Cliffs Gaze cliffs gaze at—le troisième morceau de l’album.

Les 20 minutes suivantes sont, à l’image des 20 premières de l’album, un tourbillon tumultueux, mélodieux et beau, mais si triste et noir, des guitares qui crient et pleurent encore, qui se lamentent et déchirent tout. De nouveau, le rythme monte lentement, doucement, si doucement qu’on se demande quand cela va exploser, mais cela n’expose pas, pas encore, la musique continue, presque une torture jusqu’au moment où, sans s’en rendre compte, le sommet est atteint et toute l’énergie du groupe se déchaîne. Un rythme infernal mené par une batterie qu’on dirait hors de contrôle et par des guitares distordues. C’est épuisé qu’on atteint la fin. Des cloches résonnent…

L’entrée dans le dernier morceau, OUR SIDE HAS TO WIN (for D.H.), se fait aussi doucement, en écho au début de l’album et au second morceau. 6 minutes seulement mais magnifiques, puissantes et majestueuses, émouvantes. Synthétiseurs, violons déchirants, les voix vers la fin – baleines, fantômes d’un monde perdu.

Alain Marciano

Godspeed You ! Black Emperor – G_d’s Pee AT STATE’S END!
Label : Constellation / Modulor
Parution : 2 Avril 2021