[Live Report] Les Eurockéennes de Belfort 2023

C’est en toute sérénité que le festival belfortain affichait sa 33ème édition. Les musiques modernes et hybrides relèguent désormais le rock au second plan. La programmation artistique, dans l’air du temps, fait preuve d’une belle équité.

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Jeudi 29 juin 2023

L’herbe de la presqu’ile de Malsaucy a bien jauni… l’effet du réchauffement climatique sans doute. À leur échelle, les Eurockéennes essayent d’en minimiser l’impact en supprimant les programmes papier et en favorisant le triage et le recyclage des déchets. Bien.

À peine arrivé sur le site, des sons soyeux émergent de la Loggia. Haunted Youth ouvre le bal et n’a aucune peine à emballer le public. La pop-indie des Belges s’écoute comme un plaid qu’on enfile et à l’instar de Wild Nothing, les compositions sont vaporeuses et sautillantes. Le chanteur Joachim Liebens enchaine les singles Teen Rebel et Gone et lâche un Coming Home des plus hypnotiques. Pas loin, la Française Adé adopte un look Roland Garros en jupette, socquettes et polo. L’ex-chanteuse de Therapie Taxi se démène sur une pop sucrée teintée de rock pas totalement dénuée d’intérêt. Les mélodies sont faciles et l’ajout d’une guitare métallique offre un son plus roots aux compositions bubblegum. Sur la Plage, le public trouve des sensations exotiques avec Fatoumata Diawara. Apprêtée, la chanteuse et actrice malienne respire la classe et colore sa world music de rock. Pas étonnant que de la voir collaborer avec Damon Albarn, son univers dépasse les frontières pour un message d’universalité bienvenue. Sur la Grande scène, le rappeur Nishka, tout de blanc vêtu, est accompagné d’un DJ qui mixe des sons assez mainstream à de brèves déflagrations rythmiques. Derrière l’attitude badboy du MC, se cache un grand sentimental satisfait d’être repris en chœur.

 

Joe Unknown
Joe Unknown aux Eurockéennes le vendredi 30 juin

Ça chauffe sous le chapiteau Greenroom, lorsque qu’arrivent l’espiègle Rhian Teasdale et sa copine Hester Chambers de Wet Leg. Lookées collégiennes coquines, elles assurent le show et enchaînent les titres indie-rock avec efficacité et fraîcheur. Entourée de trois mutants aux cheveux longs, la chanteuse Rhian offre quelques moments dantesques dont un Ur Mum pendant lequel le public hurle avec elle. Grand moment d’interaction. Leur tube Chaise Longue  est expédié rapidos. Clap de fin. Wet Leg, c’est les Breeders en plus sexy et sans biture. « On n’est pas fatigué, on va faire du sport », Kayawato est visiblement en forme. Ses potes aussi, ils se filment et dansent au son d’un rap nappé d’euro-dance et d’afro-wave. Tout l’inverse avec le métal lyrique et progressif des Ukrainiens Jinjer qui fait trembler le sable. La performance vocale de Tatiana Shmayluk et l‘instrumentation en mode mitrailleuse sont conformes au style. Le groupe défend majoritairement son dernier album, Wallflower, sorti en 2021.

 

Yard Act
Yard Act aux Eurockéennes le vendredi 30 juin

Il fait encore jour lorsque résonne Lisztomania de Phoenix.  Des projections 3D rendent hommage à leur ville, Versailles. Les Frenchies alignent les tubes en toute décontraction. Thomas Mars et ses complices revisitent leur discographie avec fidélité et privilégient les titres d’Alpha Zulu et de Wolfgang Amadeus Phoenix. Le plaisir reste intact à écouter 1901, Rome, Lasso, After Midnight ou Tonight. Les guitares des frères Mazzalai-Brancowitz sont indissociables, Deck D’Arcy passe de la basse au synthé-basse sans que le son en pâtisse, leur batteur suédois Thomas Hedlund frappe toujours avec autant d’énergie, suppléé aux percussions par le clavier Rob à la cool attitude contagieuse. Sur If I Ever Feel Better mixé à Funky Squaredance, un personnage inquiétant en bauta vénitien fait son apparition devant lequel T. Mars fait allégeance. Le concert se termine par Identical et son traditionnel bain de foule. À l’opposé, les islandais Sigur Rós évoluent dans un écrin de lumière tamisée, en parfaite adéquation avec leur rock planant. La beauté mélancolique qui les caractérise prend son envol sur Svefn-g-englar pour virer psychédélique sur Sæglópur. Le chanteur-guitariste à la voix de tête transporte le public dans un monde où la glace et la lave ne font qu’un.

 

Sinaive
Sinaïve aux Eurockéennes le vendredi 30 juin

Lorsque Shaka Ponk foulent la Grande Scène, l’excitation est à son comble. Leur savant mélange d’électro, de hip-hop et de rock fusion fait tilt. Aux chants, Sam et Frah se démènent comme des puces sauteuses, slament et font preuve d’une belle générosité. La scénographie est bluffante avec l’apparition d’une chorale fantomatique. Les vidéos et autres animations sont dingues et forcent l’admiration. Que de chemin parcouru pour ces français depuis leur début à Berlin ! Un chemin qui se termine à l’issue de cette tournée, leur dernière. Enfin, Perturbator, aka James Kent, convoque les démons et assène de terribles envolées synthé-wave, aidé par un batteur furieux et métronomique. Son dernier album, Lustful Sacraments, en poche, il se joue des nuances et il offre un panel musical plus riche et toujours dense.

Vendredi 30 Juin 2023

Il est 17h45. Un rythme effréné accueille les festivaliers. Des loops qui bastonnent, un MC qui n’a pas sa langue dans la poche, des fuck à tout va : Joe Unknown est dans la place pour une version hip-hop/punk des Sleaford Mods. Le duo britannique aligne les uppercuts tout en sachant nuancer leur propos sur Henessy Brown ou Gang. Au milieu d’un bordel maitrisé et bon enfant, émergent sans peine leur excellent single Ride – on y reconnait un sample du Neat Neat Neat des Damned – et le furieux Hell Of Mine. Convoquant au pied de la scène ceux et celles vêtus de jaune, Joe Macdonald les harangue et donne le signal. Sirens retentit et provoque des contorsions et danses vraiment cheloues. Clairement une des révélations du festival.

 

Foals aux Eurockéennes le vendredi 30 juin

Des Anglais à la plage, Yard Act en ont tous les attributs. Lunettes de soleil, looks dépareillés, la formation « post-punk » de Leeds est un condensé de ce que la ville peut offrir. Une basse vaguement inspirée par Gang Of Four, une guitare tranchante à la Eagulls, un orgue britpop et une batterie souple forment le socle parfait pour James Smith, le préposé au chant.  Au final plus proche d’un early Franz Ferdinand que des groupes post-punk actuels (la liste est longue), le quintet affiche un certain classicisme qui peut expliquer sa collaboration avec Sir Elton John. Du fulgurant The Overload au funky Payday, la pop n’est jamais loin. Land of Blind dévoile des ambitions plus mainstream. Voilà un mot que Sinaive évite avec soin. Les trois strasbourgeois sont plus connectés Spacemen 3 ou Diabologum. Avec une radicalité assumée, Calvin Keller, Alicia Lovich et Séverin Hutt ont défendu, en français, leur dernier mini-album Répétition, en y insérant l’irrésistible Jukebox Baby d’Alan Vega. Saturation à tous les étages, clamant haut et fort leur indépendance, le trio affiche brillamment une fausse naïveté qui force le respect.

 

Puscifer Eurocks 2023
Puscifer aux Eurockéennes le vendredi 30 juin

Foals affiche clairement ses ambitions : proposer une pop-rock teintée de groove discoïde. Le public répond avec ferveur à ces rythmes chaloupés et  sons à la mode, qui n’ont plus rien à voir avec leur début math-rock. Au fur et à mesure, le son s’électrise, les guitares se durcissent et la voix de Yannis Philippakis se fait plus rock, notamment sur l’énergisant Inhaler. Les Oxoniens ont su se faire pardonner de leur défection de dernière minute lors de l’édition 2022.

Sous le chapiteau de la Greenroom, autre ambiance avec les Américains bien perchés de Puscifer. Lookés Men in Black, les cinq musiciens offrent un spectacle à la fois kitch et théâtral. Sur des rythmes martiaux et syncopés, le leader MJK et sa partenaire au chant Carina Round, déjà croisée avec Tears for Fears, affichent une symbiose tant vocale que mimétique. Pas loin de la performance, trois aliens participent au show millimétré dans une chorégraphie incongrue. Des bracelets synthés, des micros abdominaux, des épées lasers font diversion alors que les riffs métal-rock sont allégés par des claviers new-wave et des chants mélodiques rappelant Depeche Mode. La grande majorité des titres est issue de l’album Existential Reckoning paru en 2020.  Durant près d’une heure, le chapiteau se téléporte en pleine Zone 51. Le set le plus bizarre et captivant des Eurockéennes ? Sans doute.

 

Dry Cleaning
Dry Cleaning aux Eurockéennes le samedi 1er juillet

Retour à la Loggia où Adrian Sherwood assure son set dub, reggae et dancehall.  Le Dj anglais connait son histoire. Il présente les titres à l’ancienne et intervient en calant des samples et des effets à l’aide de son immense console. Les infrabasses font bon ménage avec des sonorités plus souples et mélodiques. L’espace d’un temps, le festivalier se retrouve à Brixton. Cool ! Mais déjà, au loin, résonne la techno de NTO. Les nappes et boucles progressives déclenchent le bonheur chez ceux qui demandent la lune, qui n’est pas prête d’aller se coucher.

Samedi 1er juillet 2023

 

Pomme
Pomme aux Eurockéennes le samedi 1er juillet

La pluie et donc la boue s’invitent sur le site qui prend des allures de festival anglais. Ce qui ne semble pas gêner Dry Cleaning et sa chanteuse au regard bien flippant. Pour le coup, leur post-punk est vraiment ingénieux et drastique. Le chant confidentiel, presque chuchoté de Florence Shaw compense le jeu de guitare combattif de Tom Dowse qui n’est pas sans rappeler celui de Geordie Walker de Killing Joke. Des moments forts, il y en a. On retient Gary Ashby, Driver Story et Scratchcard Lanyard, même si le chant si particulier de Shaw peut lasser à la longue. Au même moment, Pomme enchaîne des compositions intimistes à d’autres plus dynamiques, accompagnée de musiciennes appliquées.  Elle apparaît à son aise dans un décor lutin, fait de champignons et d’arbustes. Ne manquent que les nains de jardin.

Sur la Plage, difficile de passer après l’électro-techno de l’homme-orchestre Mezerg, toujours aussi bon.  La house convenue de Carlos Willengton agit comme un warm up sympa et s’avère assez inoffensive, suivi de la R’n’B teintée d’électro-pop de Lous and the Yakuza.  Le calme avant la tempête?

En attendant, c’est le retour de Siouxsie sans ses Banshees, pour l’unique date française de sa tournée.  L’ancienne égérie du mouvement punk, post punk et gothique, affiche son âge et se déplace avec une grâce surprenante. Très vite, elle retrouve son attitude de guerrière. Quelques mots de bienvenue en français et le concert commence, desservi par un son assez brouillon. Principale victime, la basse – importante dans le son post-punk – qui manque de volume et de précision. Dommage car Nightshift et Arabian Night en pâtissent et il faut attendre Dear Prudence, le titre des Beatles qu’elle s’était appropriée avec bonheur en 1983, pour que le concert prenne son envol. Entourée de quatre musiciens investis, Siouxsie retrouve des fulgurances telles qu’on pouvait les vivre à l’époque. Aussi City Of Dust retrouve son allant dans une relecture réussie tout comme But Not Them, véritable ode aux percussions et tiré du répertoire de son side-project The Creatures. Sa voix gagne en assurance et elle n’hésite pas à faire de la  provoc au sujet de la taille indécente de la crash barrière. Sacrée Siouxsie ! Sin In My Heart décolle, suivi de Christine et Happy House qui font le bonheur d’un public averti et plus âgé. Elle termine le concert avec un second extrait de son album solo, Into A Swan qui laisse pantois. Les fans attendaient Spellbound, qui était pressenti en rappel. Mauvaise pioche, c’est le dansant et presque hip hop Peek-A-Boo qui est choisi. Le concert est fidèle à ce qu’elle a toujours été : insaisissable et libre.

 

Siouxsie Eurocks 2023
Siouxsie aux Eurockéennes le samedi 1er juillet

La tempête annoncée s’appelle Vladimir Cauchemar. Le Dj producteur à la tête de mort, qui avait en charge la programmation de la Plage, fédère toujours autant, avec une électro qui claque et des basses à flinguer toutes les carpes de l’étang de Malsaucy. Le Français assure un set puissant dans lequel un sample du Wonderwall d’Oasis fait son apparition. Visuellement, c’est une explosion de lasers et d’effets pyrotechniques, lui-même maniant le lance-flammes tel un zombie du jeu Wolfenstein.

Pas loin, les américains queer de Special Interest entament leur concert en mode vénère. Parfaite fusion des styles punk et dirty-disco, la troupe de freaks est menée par l’actrice/chanteur transgenre Alli Logout qui occupe la scène avec une furie salvatrice. Cherry Blue Intention et le génial Don’t Kiss Me In Public sont irrésistibles de groove venimeux. Les claviers tourbillonnent et la basse overdrivée pose les jalons d’un punk-funk du meilleur effet. Fioul et Street Pulse Beat mettront les festivaliers en trans. Pour le meilleur.

Texte : Mathieu Marmillot
Photos : Deadly Sexy Carl