Midget! nous a donné cette mauvaise habitude de l’excellence dans ses productions. Qui Parle Ombre, le quatrième album du duo constitué autour de Claire Vailler et Mocke, ne déroge pas à cette règle. Il prolonge les errances post-modernes et minimales de Ferme Tes Jolis Cieux pour encore en sublimer la profondeur.
Il n’y a rien de plus étriqué que le format chanson. Vous savez, cette formule sempiternelle, pour ne pas dire sacro-sainte du couplet/refrain. Il n’y a rien de plus réducteur que ce rapport aux paroles plus comme source de sens que comme source de son dans l’univers de la chanson à textes dans son école française.Il est bien difficile de tendre vers une forme d’inédit dans le cahier à charges de cette esthétique. Nombreux sont ceux qui ont tenté de s’en affranchir et qui s’y sont cassés les dents et les cordes de guitares. A tant vouloir renouveler le vocabulaire, ils en ont oublié de conjuguer la chose au sens commun, infiltrant trop d’hermétisme pour être totalement honnêtes, malaxant trop l’abstraction pour avoir l’humilité et la modestie de savoir rester accessibles. Ils sont peu ce qui parviennent à allier érudition et ambition sans jamais perdre en route un seul instant leurs auditeurs, à allier une certaine évidence avec une complexité assumée. Ils sont peu ce qui acceptent cette porosité entre la Pop et les réflexions issues de la musique contemporaine.
Claire Vailler et Mocke alias Midget! sont de ceux-là, à peine un pied encore dans les préoccupations de la musique Populaire, tous leurs sens en alerte dans les explorations du minimalisme et de la microtonalité. Vous dire que Qui Parle Ombre n’est pas un disque qui réclame toute votre attention, vous dire qu’il n’est pas une suite de pièces musicales exigeantes où la chose abstraite, diffuse et complexe est reine, relèverait du mensonge. Qui Parle Ombre est bel et bien un acte artistique difficile et délicat à appréhender mais qui saura y entrer y découvrira un disque monde, un univers en soi. Loin de la paresse de productions des oeuvres de l’école néo-classique, Midget! travaille des structures nouvelles et jamais entendues, respectueuses des travaux passés d’un Gavin Bryars ou d’un Ben Johnston, des structures nouvelles baignées dans un psychédélisme doucereux et ouaté. On connaît le goût pour l’aventure de Mocke, cette aspiration à poursuivre un chemin sans boussole et sans sextant avec pour seul exigence le refus de la facilité.
Ce qui est remarquable dans tous les disques de Midget!, c’est que l’on est vraiment face à un travail à quatre mains, d’un côté le chant étrange, fait d’impressions et d’escapades de Claire Vailler, de l’autre la guitare hybride de Mocke. Ce que les deux proposent ensemble n’est jamais cérébral mais s’avère plutôt une ode à la sensualité et à la dérive.Ce qui est sûr c’est que Midget! n’appartient pas totalement à notre temps trop pressé et trop impatient. Les deux racontent et décrivent les aurores, les printemps, les fleurs enfouies sous la neige. Ils citent le Si Je Mourais Là-Bas de Guillaume Apollinaire dans La Nuit Descend et suggèrent plus qu’ils ne disent leurs angoisses sur ce monde qui se broie de l’intérieur, qui s’autodétruit.
L’accent est volontiers, ici, incantatoire sans jamais sombrer dans la complainte. En s’appuyant sur des saveurs oniriques, Claire Vailler et Mocke nous transportent dans leur déroute. Faisant entrer en collision une certaine école française et l’anglo-saxonne, Midget! compose une musique de chambre singulière. On reconnaît ici des accents du Septet (1957) de Ben Johnston, là des madrigaux transformés pour ne pas dire « dépravés« de Gavin Bryars. Les aspirations de Midget! sont bien difficiles à classer, leurs intentions, volatiles mais leur souci de ne jamais nous perdre au centre de la recherche. Accompagnés dans la session d’enregistrement par Cécile et Carmelo Pecoraro respectivement à la flûte et au basson, Midget se plait à nous perdre dans ses volutes mélodiques tortueuses, filandreuses, énigmatiques et touchées d’impressions fugaces.
Et puis, il y a ces paroles comme autant de suggestions, comme autant de visions hallucinées, comme autant d’interprétations ouvertes. Ces paroles comme des actes poétiques, comme des lieder perdus au temps de Twitter, comme la quête de l’éternel voyageur, le vagabond d’Hamsun, le Wanderer du Winterreise. Ecouter La promenade plastique c’est un peu comme de pénétrer dans les paysages de Caspar David Friedrich, on s’égare dans le ruissellement de ce fleuve, dans la brume légère. Consolation de neige glisse-t-elle un clin d’oeil au Jacques Bertin de Je voudrais une fête étrange et très calme ?
A mi-chemin des pérégrinations d’un Gabriel Fauré redécouvert par Olivier Mellano le temps d’Ici Bas (2018) et la torpeur étrange d’un John Greaves, la musique de Midget! est aussi ombrageuse qu’elle peut se faire timide, incertaine et ludique, tourmentée et apaisée dans un même élan, cadenassée par les hésitations, stimulée par l’indécision. Elle est aussi fluctuante qu’elle est impalpable, changeante et immuable dans une même force.
D’une indécision revendiquée, Qui Parle Ombre use de toutes les esthétiques, ni romantique, ni impressionniste, ni contemporaine, ni expérimentale mais tout cela à la fois, ce quatrième album de Midget! est une magistrale ouverture vers un nouveau monde, une terra incognita.