Voilà, Christian Décamp quitte la scène, passe le relais à son fils Tristan qui continuera à chanter avec Ange. A l’Olympia, hier samedi, c’était le der des ders, et l’émotion était à son comble. Mais rappelez-vous : « la nostalgie, c’est un fléau ! »

Ce soir, samedi 1er février, Christian Décamps, le leader et chanteur de Ange, fait ses adieux à la scène, après 55 ans de carrière. A l’Olympia. Devant un public logiquement pas très jeune, mais qui soit se remémore la claque qu’avaient été les concerts du meilleur groupe de prog rock français au milieu des années 70, soit ont même suivi le groupe au fil de ses métamorphoses, le long des décennies de moindre célébrité, mais de travail obstiné et de fière indépendance qui ont suivi.
20h : on débute la soirée avec le Rouennais, d’origine irlandaise mais breton d’adoption, Pat O’May, ami d’Ange depuis les années 80, qui joue ce soir dans un format trio percutant. Pat va nous offrir une demi-heure d’un classic rock à l’américaine d’un excellent niveau, voire même enthousiasmant par moments. Franchement du côté du Blue Öyster Cult, soit une école à laquelle nous souscrivons, voici 30 minutes de très, très bonne musique, à la fois mélodique et heavy (mais sans les excès parfois puérils du métal). La voix de Pat évoque d’ailleurs un peu celle d’Eric Bloom, son jeu de guitare est très élégant, des titres comme Warrior ou In this Town, extraits de son dernier album Welcome To A New World sont d’un haut niveau. A noter un hommage enlevé à Alan Stivell (avec lequel Pat a collaboré), afin de bien convoquer les fantômes du Rock français du début des seventies. Un Rock français que les snobs ont bien tort de mépriser quand on voit ressortir du passé des musiciens d’un tel calibre !
20h55 : alors que s’élève la musique d’introduction du set d’Ange, un incident a lieu dans la fosse (il semble qu’une caméra ait basculé de la plateforme où elle était accrochée, heureusement sans faire de blessés !), obligeant l’organisation à interrompre le lancement de la soirée et à rallumer les lumières. Comme quoi, une salle remplie de sexa et septuagénaires, c’est nettement plus imprévisible qu’une assemblée de punks à crêtes ! Il nous faudra attendre plus de 20 minutes pour que tout rentre dans l’ordre et que le concert puisse débuter… Christian Décamps, avec son sens de l’humour inimitable, ironisera sur la saison, qui n’est pas comme l’automne, celle de la chute des feuilles, mais celle de la chute des caméras…
Les six musiciens sont disposés sur deux niveaux, avec Tristan (le fiston Décamps) aux claviers à droite et Christian, quand il est là – car il alterne au chant avec son fils, et sort se reposer quand ce n’est pas son tour -, au centre. Si l’on se souvient du véritable démon bondissant des débuts du groupe, on souffre un instant en voyant les difficultés qu’il éprouve désormais à se mouvoir. Mais très vite, on oublie les années, aussi cruelles soient-elles, car la VOIX et donc la PRESENCE scénique de Christian sont toujours là, époustouflantes, inchangées. Et si la musique d’Ange n’a sur bien des morceaux plus guère de ressemblance avec le rock progressif théâtral des années 70, on doit reconnaître que le groupe assure parfaitement, en particulier le guitariste, Hassan, qui va nous offrir plusieurs moments assez extraordinaires. Et puis aussi bien la lumière que le son, tout est excellent, peut-être particulièrement soignés parce que le concert est filmé et donc destiné à rester un témoignage de ce qu’était le groupe avec Christian, mais on ne le pense pas une seconde : Christian et Ange sont des gens totalement dévoués à servir leur public avec le meilleur qu’ils peuvent offrir, on le sait…
Pour qui n’aurait pas, comme nous, suivi musicalement le groupe après le départ de Francis Décamps, le frère largement responsable du son immédiatement reconnaissable du groupe, la setlist du concert sera quasiment intégralement consacrée à son « époque »… ce qui ne veut pas dire qu’on échappe à quelques titres plus faibles, comme par exemple La Suisse (en dépit, pour le coup, du chant de Christian…). Mais globalement, ce qu’on nous offre ce soir, c’est du bon, du très bon Ange. Avec, à notre goût, deux sommets indiscutables du set : un Si j’étais le Messie littéralement envoûtant, où l’interprétation sublime de Christian nous a carrément renvoyés en 1974 (tu parles d’une machine à voyager dans le temps !) ; et un très long Capitaine Cœur de Miel, introduit par des cris de mouettes, et scindé en deux parties antagonistes (la première dépouillée et très belle, la seconde lyrique et puissante) séparées par un long passage quasiment classique aux claviers. Capitaine Cœur de Miel, c’était la validation en 2025 que, oui, Ange figuraient parmi ce qui se faisait de mieux, même au niveau international, dans le genre « prog rock » : une conclusion en véritable feu d’artifice du set principal.
A noter que nous aurons eu la primeur de trois titres du prochain album, Cunégonde, dont la sortie est retardée à l’automne, avec du très bon (la chanson Cunégonde, où Christian fait encore des merveilles au chant) et du plus moyen (Quitter la meute, présentée comme la « perle » du disque, mais peu convaincante à la première écoute…).
Puis vint le moment du – très long – rappel, consacré largement aux remerciements, et pour 55 ans de carrière, ça prend du temps, et à l’émotion, qui, peu à peu, a gagné tout le monde. Musicalement, le moment le plus inoubliable fut le dernier, une version dantesque de Ces Gens-là, pendant laquelle Christian, sachant que ce serait là (au moins théoriquement, car personne ne connaît l’avenir) sa dernière chanson interprétée sur scène, nous tétanisa tous avec l’intensité de son chant.
Pour conclure, répétons ce que Christian lui-même nous a rappelé : « La nostalgie, c’est un fléau ! ». Ne regardons donc pas en arrière sur ce qui n’est plus, réjouissons-nous seulement d’avoir connu Ange, ce groupe tellement différent, tellement généreux. Et d’avoir passé ces dernières deux heures trente minutes avec Christian Décamps sur la scène de l’Olympia.
Merci, le « plouc » !
Texte et photos : Eric Debarnot
Je me suis déjà exprimé sur ce que je pensais de ce groupe à l’occasion de la publication de votre interview de son chanteur il y a quelques jours. J’ajoute quand même qu’il ne fait pas bon de vieillir et « on ne pas être et avoir été ». Ces deux affirmations valent également pour Genesis, dans le même courant musical, que j’ai aussi adoré mais dont la pertinence artistique s’est arrêtée pour moi après 1976 1977.
Enfin je pense que Magma a aussi partagé avec Ange la mention de meilleur groupe de prog français bien que sa musique était un peu différente mais progressive tout de même.
Petit détail vous avez oublié le tréma sur le o du Blue Öyster Cult.
Mon cher Jean-Pierre, je suis allé à ce concert sans illusion et dans un état d’esprit similaire au vôtre, mais j’ai eu le bonheur d’être positivement surpris, ce qui n’arrive pas si souvent que ça. Quant à Magma, je ne les rattache pas aussi franchement au Rock Prog, leur musique est plus singulière, plus originale.
Perso, j’aime bien la version de La Suisse de cette tournée. Thierry y fait un boulot de basse remarquable (et qu’on remarque pour le coup) et le final avec le solo d’Hassan est de très bon goût…
cher Jean Pierre,
avec ce que tu écris, je te souhaite de ne pas vieillir, et de mourir jeune.
Ange vieillit très très bien.
Cher bigorno68, je te remercie de ton cordial conseil mais je ne le partage pas du tout, désolé !