Les Loyautés, de Delphine de Vigan : un roman social en mode mineur

Finie l’autofiction pour Delphine de Vigan. Avec Les Loyautés, elle fait place à un roman social abordant un certain nombre de thématiques actuelles. Mais les bonnes intentions ne font pas toujours les grands romans…


Credit photo © AFP MIGUEL MEDINA

Delphine de Vigan, ce n’est plus à prouver, possède un talent évident qui confine à l’habileté. Ces derniers ouvrages, notamment son Rien ne s’oppose à la nuit, acmé littéraire personnel, la mettaient en scène et troublaient le lecteur avec un jeu autour de la véracité du propos qui slalomait avec virtuosité entre roman et autobiographie.

Les Loyautés, Delphine de Vigan couverturePour cette dernière livraison, exit le personnage de Delphine, l’auteure plonge dans la fiction la plus pure en mettant en scène une prof de sciences dans un collège parisien, deux de ses élèves de 12/13 ans dont un dénommé Théo qu’elle soupçonne fortement d’être en perdition et les familles de ces derniers. En gros, une façon d’aborder quelques problèmes sociétaux bien de chez nous : l’Education Nationale, les enfants de divorcés, l’alcoolisme ( fléau national dont, c’est vrai, on parle moins que du chit, du tabac, du sucre, du gras, …), voire même la montée des extrêmes. Copieux cocktails mais rien à reprocher, nous sommes dans un genre qui va plaire dans les chaumières et alimenter les articles de la presse féminine, faisant en plus passer notre auteure à succès pour une fine sociologue. Pourquoi pas ? Une littérature de bons sentiments bien écrite n’est pas désagréable…

Le roman débute en trombe, le quotidien dans un collège offrant de belles occasions narratives. La petite spécialité de notre écrivaine, se développe avec aisance autour de l’ambiguïté qu’elle fait naître concernant la santé mentale de cette prof au bord du burn out professionnel voire intime. Au fil des pages, on voit passer les clichés mais si habilement dissimulés par une narration de belle allure qu’elle parvient à donner une impression de profondeur, faite pour que le lecteur s’exclame intérieurement  (« Ah oui, bien vu ! »  « Oh, finement observé !). On se laisse happer par cette histoire de prof justicière et incomprise, Mme de Vigan se glissant subtilement entre une Katherine Pancol trop mécanique et une ( le choix est vaste mais optons pour… ) Alice Ferney bien plus littéraire. Mais à mi-course, patatras, Delphine, emportée par son élan, chute à cause d’un jogging  Barbie ( rose évidemment). Mais que diable faisait ce vêtement résolument bas de gamme dans un récit qui lorgnait pourtant vers un certain chic de bon goût ?

Emportée par son élan à vouloir produire un grand roman social, plus sûrement aussi par quelques griefs contre le personnel de l’Education Nationale, Delphine de Vigan rate la porte et s’écrase dans la poudreuse. Pour résumer, une prof de gym sadique punit le pauvre Théo  en lui faisait porter un jogging Barbie trop petit devant ses camarades médusés provoquant une colère hystérique de la narratrice qui se permet de venir agonir d’injures sa collègue en plein cours. L’idée peut sembler bonne niveau rebondissement, mais hélas assez improbable connaissant le milieu. Le phénoméne bien connu de la goutte d’eau qui fait déborder le vase s’empare du lecteur qui ne voit plus que les grosses ficelles d’un récit devenant de plus en plus improbable. Mme de Vigan, sa rage ravalée, se relève,  achève sa course complètement perdue, éperdue, n’arrivant plus à gérer les différents points de vue des nombreux personnages de l’histoire, le factice de l’intrigue explosant de pages en pages et optant, à défaut d’un réel point de vue,  pour une fin ouverte assez décevante, même pour les lecteurs qu’elle n’a pas perdus en route.

Dans un précédent ouvrage « D’après une histoire vraie » , Delphine de Vigan nous parlait de son manque d’inspiration qu’elle avait transformé en un thriller psychologique bien mené. On ne l’avait donc pas réellement crue, l’angoisse de la page blanche, les idées dans les chaussettes, ce n’était pas pour elle. Je ne sais si pour écrire ces « Loyautés« , elle a beaucoup galéré, mais nul doute que son envie de roman social manque sérieusement d’inspiration et va, dans sa bibliographie, prendre place comme une œuvre mineure.

Pierre Darracq

Les loyautés
Roman français de Delphine de Vigan
Editions Jean-Claude Lattès
205 pages, 17,00 euros
Date de parution : 3 janvier 2018