[Interview] Olivier Rocabois : un hometown boy aux envies de grandiloquence

Depuis la sortie de Olivier Rocabois Goes Too Far, tout le monde se demande comment un tel album pouvait voir le jour en France en 2021. Le plus simple était sans doute de poser la question à Olivier lui-même…

Olivier Rocabois
Photo : Alain Bibal

« ma passion pour les structures tarabiscotées vient clairement de Pet Sounds, Smile et Surf’s Up. »

Benzine : Mais c’est quoi ce disque de fou que tu nous a pondu ?

Olivier : Oui… (il réfléchit, hésite…). Je ne sais pas quoi te dire, ce qui arrive est un miracle, je suis hyper content, d’abord parce que le résultat est au-delà de mes espérances, et que les réactions, hormis quelques réserves isolées, sont vraiment incroyables… J’ai l’impression de toucher les gens et c’est inestimable.

Benzine : Olivier, peux-tu nous parler un peu de la manière dont tu es venu à la musique ?

Olivier : J’ai commencé la gratte à 16 ans, il y a 30 ans presque jour pour jour… ça faisait un peu de temps que je demandais à mon père une guitare, et je reçois une belle Samick, une guitare folk d’entrée de gamme. J’ai commencé par jouer The Ballad of John & Yoko, l’un des morceaux les faciles des Beatles. Puis j’ai essayé de capter des tablatures, j’allais dans les magasins et je mémorisais les accords, notamment ceux du Move On Up de Curtis Mayfield(rire).
J’ai commencé à composer à 18 ans, et le premier truc que j’ai mis en musique après le fondateur Purple Finger écrit sur une plage de Carnac avec mon pote David Tanguy, ce fut une traduction en anglais de La Vie Antérieure de Baudelaire, j’ai retrouvé ça dans mes cartons. Après, ces trucs un peu intellos, à 18 ans, on n’assume pas trop, mais ça nous modèle en fait… J’ai appris plus tard que l’immense Léo Ferré s’y était collé aussi !
J’étais vraiment comme dans la chanson de l’album, un « hometown boy ». J’avais un an d’avance à l’école, donc j’avais des potes plus vieux que moi, et aussi je sortais avec des filles plus âgées que moi. J’ai découvert des milliers de groupes à cet âge-là, j’ai une affection particulière pour cette époque…

Benzine : et donc, les choses qui t’ont marqué…

Olivier : les grandes claques, les classiques, les Beatles, le premier album du Pink Floyd, Love… Je savais jouer Forever Changes en entier à la guitare ! Les Beach Boys bien sûr : ma passion pour les structures tarabiscotées vient clairement de Pet Sounds, Smile et Surf’s Up. Les Kinks 66-69 en boucle sur mon ghettoblaster. J’arborais un badge « Raymond Douglas Davies » quand je faisais des sondages dans les gares, les gens pensaient que c’était mon vrai nom ! Mais il y avait aussi le Velvet, Lou Reed, et John Cale en solo. Et puis Morrissey et les Smiths, j’ai découvert tout mélangé sur une cassette que m’avait faite une copine, j’ai encore du mal à faire la différence. Mes amis de Vannes avaient monté le mythique fanzine « Tea Time », ils m’ont fait découvrir plein de trucs, notamment le label Sarah Records. On écoutait aussi Lloyd Cole, les Pixies. C’était juste avant l’époque de la Brit Pop, Suede, Pulp, Divine Comedy… J’étais « bluriste », je n’ai jamais vraiment aimé Oasis hormis quelques singles (Supersonic, Whatever par exemple…), c’était trop long d’écouter un album d’eux en entier. J’aimais beaucoup aussi les Boo Radleys, d’ailleurs j’ai modelé ma voix sur celle de leur chanteur Sice à l‘époque. Puis vinrent Pavement, les Flaming Lips, etc.
Il y avait à cette époque un télescopage entre « l’ancien testament » de la pop, et les jeunes. C’était passionnant cette « simultanéité » de réaliser qu’on avait un patrimoine musical extraordinaire, et que les groupes contemporains faisaient aussi des chansons dingues. Et 30 ans après, ces chansons tiennent toujours bien la route. Oui, mes références sont là…

« Je fais souvent de la figuration dans des ballets à l’Opéra de Paris »

Benzine : C’était encore avant Internet, ce n’était pas si facile en France de découvrir la musique…

Olivier : Oui, je me suis raconté toute une histoire à partir de ça, il y avait un vrai sens du merveilleux, alors que cette mythologie du Rock peut en effet se faner si on passe son temps à lire des trucs sur le Net. Tout ça forge ta personnalité et définit ta relation aux autres. Bon, j’ai pu séduire quelques personnes comme ça en usant de techniques assez radicales : j’ai rencontré ma femme dans une soirée et je n’avais rien trouvé de mieux que de lui jouer une compo appelée « I Need Sex Today » au piano pour briser la glace (rires)… La musique m’a permis de rencontrer plein de gens intéressants et fascinants.

Benzine : Bon, il reste encore pas mal d’années à couvrir avant la sortie de Olivier Rocabois Goes Too Far…

Olivier : Oui ! Je reste 5 ans à Rennes, je fais trois maquettes, et la troisième est publiée sous le nom de Archibald/Young Bishop. Son titre : Chimes Blues, encore un oxymore. J’aime bien le mot « bishop », mon côté « mystique » de l’époque, et puis la référence à la chanson Jigsaw Puzzle des Stones… (il chantonne : « And here comes the bishop’s daughter / On the other side »). J’ai eu un papier dans Ouest France, l’édition de Vannes, j’étais très fier d’être reconnu au niveau local, je faisais des concerts, mais j’étais trop complexé pour présenter mon travail.
Puis, à Paris, j’ai joué dans plein de bars, dans des soirées privées, au Marriott pour des élections de Miss Liban, au Plaza Athénée pour des défilés de mode. Mais surtout dans des pubs et des clubs, faut être honnête. Je fais souvent de la figuration dans des ballets à l’Opéra de Paris : cette musique incroyable que tu entends, que tu as dans la tête après, ça te donne envie de grandiloquence ! Oui, et j’ai aussi bossé dans un théâtre pour enfants pendant 13 ans…
En 2008, à une terrasse de bar, je rencontre Nicolas Copin, mon voisin du dessus qui m’entendait jouer les Zombies, il est multi-instrumentiste et on décide de monter un projet ensemble. Lui à la batterie et mon pote du théâtre Yann-Loïc Bourgeois aux claviers. Ça sera All If, et il y aura une vingtaine de musiciens qui y entreront et en ressortiront au fil des années. En 2009, on a un 6 titres que j’ai appelé The Freedom of Discipline, c’est une référence à Perec, qui est important pour moi. Mais c’est en 2012 qu’arrive Antoine Pinchot-Burton, qui, avec son talent, rehausse tout le truc : c’est une rencontre décisive, et les choses vont maturer jusqu’à ce qu’en 2017, on finisse par publier un album officiel : Absolute Poetry. Valentin Pippo Miller à la gratte électrique et aux chœurs. J’écoutais Of Montreal non stop pendant l’enregistrement, je suis super fan de Kevin Barnes.

« j’ai fait mon Magical Mystery Tour à moi, un disque plein de couleurs… »

Benzine : Pas mal de temps de maturation donc, alors que pour le nouvel album…

Olivier : Oui, pour le nouvel album, on a fait assez vite, les premières répétitions ont eu lieu sur novembre – décembre 2019. J’ai lancé un crowdfunding via Ulule, et le 17 février 2020, on est en studio à Aubervilliers : c’est à l’Entresol Sound Studio, et les gens qui bossent là-bas sont à la fois des chics types et de super-professionnels… On a fait tous les instruments à Aubervilliers, puis tous les claviers à Meudon, à l’exception du clavecin qu’on a enregistré chez un pro du clavecin à Courbevoie. C’est une histoire de copains, tout ça, j’ai eu les cordes de l’Opéra de Paris par exemple ! En fait, jusqu’à la dernière séance le 10 mars 2020, le jour où le couperet tombe, on avait quasiment tout fait.

Benzine : le premier confinement..

Olivier : Oui, je sentais bien qu’on était en train de faire un truc pas mal, alors j’étais vraiment frustré de devoir laisser tout ça au studio. Puis, après le confinement, on a pu rajouter chœurs / cordes / cuivres etc… et en septembre 2020, tout était bouclé.
On a passé 30 jours en studio au total, c’est cher ! Mais c’est important de dire que les prises basse-batterie ont été faites en jouant ensemble tous les 4, live dans le studio. Dans In My Drunken Dreamscape, par exemple, la dernière partie est une improvisation, c’est une première prise qu’on a gardée. On a conservé volontiers les accidents de parcours, car il y avait un cadre bien défini au départ…

Benzine : Quels sont tes projets pour suivre cet album ?

Olivier : La suite… c’est continuer autant que possible la promotion de ce « magnum opus » ! (rires). Le truc est sorti il y a deux semaines, c’est une période hyper grisante, c’est un peu comme son enfant que l’on emmène à l’école : j’ai du mal à lui lâcher la main devant la grille… Et puis j’aimerais recommencer tout doucement avec des showcases, et puis avec le groupe, le jouer en public…
Sur le plan des enregistrements, je vais faire le tri de ce que j’ai, et préparer le prochain album. Si j’ai fait mon Magical Mystery Tour à moi, un disque plein de couleurs, j’aimerais que le prochain soit autre chose, mon… White Album (rire)… Un peu comme Martin Newell et son Off White Album ! Je réfléchis à avoir peut-être des choses plus épurées, ou bien peut-être de l’électronique, du Tropicalisme, des voix de femmes… Mais j’aimerais enregistrer dès cet été !

Benzine : Bon, grâce à ce premier entretien, nos lecteurs vont mieux comprendre d’où tu viens. On va se revoir très vite pour parler encore plus de Musique.

Olivier : OK ! En attendant, vous viendrez me voir jouer sur scène, dès que ce sera possible ?

Benzine : On n’attend que ça !

Interview réalisé par Eric Debarnot

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