[Netflix] « The Killer » de David Fincher : être (ou ne pas être) un tueur professionnel ?

Variation sans surprises scénaristiques sur la figure du tueur professionnel, The Killer est maintenu à flots par le sens formaliste de Fincher. A voir sur Netflix !

The Killer
Copyright Netflix

Il arrive que des places dans l’Histoire du Cinéma se construisent sur un malentendu. Avec A Bout de souffle, Godard souhaitait faire un film pastichant les Séries B américaines qu’il adorait pour ensuite passer à autre chose, à l’image des œuvres de début de carrière « sous influences » des grands peintres. Mais A Bout de souffle sera immédiatement reçu comme un coup d’éclat de début de carrière à la Citizen Kane, un film imposant sa personnalité par son ton et sa manière de citer/reprendre ses influences, un film manifeste de la Nouvelle Vague ouvrant la voie aux post-modernes et aux cinéastes cinéphiles.

the killer fincher afficheLe malentendu pour Fincher, c’est celui du nouveau Kubrick. Un malentendu en partie lié à son image de cinéaste control freak faisant refaire les prises jusqu’à épuisement à ses acteurs/actrices. Et aussi à un brelan de films ayant fortement imprimé l’inconscient collectif. Au-delà des multiples copies engendrées par le film et de son twist contredisant en son temps les règles du thriller, Seven était parfaitement synchrone d’une décennie 1990 fascinée par mutilations et Body Art. Fight Club est aujourd’hui un peu plus que ses qualités et ses défauts cinématographiques : on ne le regarde plus de la même manière depuis le World Trade Center et l’arrivée de la crise de la masculinité au premier plan des débats sociétaux. En coulant la vie de Zuckerberg dans le flux de dialogues sorkiniens et le moule narratif Citizen Kane, The Social Network faisait du créateur de facebook une figure nettement plus ordinaire que Kane accouchant d’un changement extraordinaire. Le tout en créant à chaque fois à partir de son sujet une esthétique.

Pour chacun des films mentionnés, les cinéphiles se bagarrèrent pour savoir si oui ou non ils arrivaient à la hauteur de l’orteil d’Orange Mécanique. Mais Fincher rendit heureusement cette question anecdotique avec son chef d’œuvre (sans succès public) Zodiac : un autoportrait en figure obsessionnelle de plus abandonnant la part de clinquant formel de son début de carrière, un tribut payé au Nouvel Hollywood marqué par la découverte du travail de Mann sur la HD dans Collatéral. Mais, un peu comme Jackie Brown n’avait pas réussi à détruire le mythe enfant terrible de son auteur, Zodiac ne cassa pas le mythe Fincher… d’autant que The Social Network allait le réactiver.

Depuis le facebiopic, Fincher a pondu un Gone Girl à la première moitié superbement hitchcockienne. Il a surtout réalisé pour Netflix Mank, film ni honteux ni marquant sur l’écriture de Citizen Kane. Et toujours pour Netflix ce The Killer adapté d’une BD de Metz et Jacamon par le scénariste de Seven. Au nom du mythe Fincher évoqué plus haut, il y a fort à parier que certains/certaines des fans du cinéaste crieront d’office au Fincher mineur parce que c’est au fond… une Série B. Ou plutôt son film le plus proche d’une Série B depuis Panic Room. Alors qu’il y a des grands et petits B Movies comme il y a des grands et petits films épiques et que la Série B c’est entre autres… Fuller, Ferrara et Johnnie To. Excusez du peu.

Il y a donc le Tueur, personnage (campé par un excellent Michael Fassbender) de tueur professionnel dont le perfectionnisme maniaque et le temps mis à préparer l’exécution de ses contrats semblent évoquer les truands de Melville. Un personnage peu bavard utilisant l’écoute des Smiths pour gérer la nervosité liée à son boulot. Et un jour, lors de l’exécution d’un contrat, un raté qui va engendrer une chasse à l’homme se déroulant dans plusieurs pays.

Le tout avec une voix off révélant la misanthropie du Tueur et la manière dont cette dernière l’aide à tenir le coup dans son métier. Une voix off pas avare en remarques comiques, sur la phobie des Parisiens vis-à-vis des touristes allemands par exemple. Sauf que… le film cherche à produire un décalage entre la posture melvilienne prêchée par la voix off et une réalité pas toujours à sa hauteur. Fallait-il pour autant entendre le Tueur répéter plusieurs fois que ses émotions doivent être contrôlées ? De plus, le territoire des assassins pas toujours professionnels, avec malaise existentiel et humour noir en option a été mieux arpenté par les frères Coen. Et la part de vanité de la vengeance par le cinéma de genre coréen et une partie du cinéma américain seventies.

Le problème du scénario est qu’il cherche à détourner les codes du cinéma de genre classique… pour aboutir à un détournement déjà vu. Ceci dit, le talent formaliste de Fincher fait que le film se suit volontiers, avec quelques moments réussis : l’ouverture parisienne et sa part hitchcockienne de voyeurisme, le passage en Floride avec sa scène d’action dans laquelle la mise en scène fait pleinement ressentir les accrocs du job. Un peu comme une de ces Séries B à scénario moyen maintenues à flots par le talent d’un vrai styliste.

 

The Killer
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Reste un point sur lequel j’attendais particulièrement le cinéaste : la manière d’utiliser, à côté d’un score original Reznor/Ross écoutable mais sans surprises, la musique des Smiths. Groupe qui n’a jamais vraiment eu de chance avec le cinéma. Comme par exemple dans 500 jours ensemble où le groupe sert de plan drague. Car ce qui fut en son temps un moyen de rapprochement entre ados outsiders serait désormais un signe de reconnaissance entre gens de bon goût. Il y eut cependant John Hughes, cinéaste/producteur conscient des souffrances liées à la transition adolescente, souffrances qui firent des Mancuniens un kit de survie pour certains et certaines. Dans Rose Bonbon, produit et scénarisé par Hughes, l’excentrique Duckie va noyer le désespoir de son amour non partagé en écoutant dans sa chambre Please please please let me get what I want. Et dans La Folle journée de Ferris Bueller c’est la reprise instrumentale du même morceau par The Dream Academy qui accompagne une scène du Musée révélatrice de l’ascendant paternel sur le personnage de Cameron.

Dans le cas de The Killer, l’utilisation du groupe mancunien est en partie discutable. Déjà, Fincher voyait dans la musique des Smiths un moyen de pénétrer dans les pensées d’un personnage montrant peu ses émotions. Ce qui peut être vu comme un pis-aller ou une facilité. De plus, en faisant des Smiths le groupe de chevet d’un tueur blasé par l’humanité, Fincher réduit le groupe au cliché misanthrope parfois incarné par Morrissey en solo. Il affirme avoir choisi le groupe en raison du caractère sardonique de ses chansons. Sardonique : qui exprime une moquerie amère, froide et méchante. Or si moquerie, amertume et méchanceté peuvent s’appliquer dans une certaine mesure au groupe mancunien, il en va autrement de la froideur. Pas vraiment synchrone du sentimentalisme très irish du timbre de voix morrisseyien… et encore moins du romantisme de certains textes du groupe. Car un romantisme conscient d’aller droit dans le mur reste du romantisme. Une incompréhension confirmant le caractère très cérébral du cinéaste.

Fincher rattrape ceci dit cette semi-déception grâce à son savoir faire de monteur sonore : à l’image d’une alternance entre plan non subjectif et plan subjectif, le montage sonore alterne moments où la musique du groupe sort d’un écouteur et moments où le score occupe toute la bande son, épousant alors le point de vue du Tueur. On n’est pas loin du travail subjectif sur le son entendu dans Sur mes lèvres ou Sympathy for Mister Vengeance. De plus, le groupe mancunien fonctionne en interaction avec un score original Reznor/Ross écoutable mais sans surprises : au premier les moments où le tueur semble en maîtrise, au second ceux où la mission déraille.

B movie sauvé par le flair visuel et la talent de sound designer du cinéaste, The Killer pose la question de la place de Fincher dans le cinéma hollywoodien actuel. Netflix est-il un refuge pour un cinéaste ayant parfois eu des difficultés à monter des projets personnels dans le cadre classique des studios ? Un refuge qui aurait une allure d’impasse ? The Killer est loin du grand film… mais loin d’écarter Fincher de la liste des cinéastes américains à suivre.

Ordell Robbie

The Killer
Film américain de David Fincher
Avec : Michael Fassbender, Tilda Swinton, Arliss Howard…
Genre : Thriller, Drame, Policier.
Durée : 1h58mn
Date de sortie (Netflix) : 10 novembre 2023