Les avis divergent à BENZINE à propos du dernier film de Nanni Moretti. Pendant que Pierre voit « un film subtil mais tout simple mêlant l’intime à la fiction », Michael lui voit plutôt « un film convenu, ni émouvant ni vraiment drôle ».
Pour Nanni Moretti, le départ d’une mère est un effondrement, la destruction du passé, l’effritement du présent, un lent tremblement de terre. Dans Mia madre, la lente fin de vie de la mère ébranle le quotidien des enfants. Les rêves semblent réels, les souvenirs reviennent, le présent glisse entre les doigts.
C’est un film subtil mais tout simple. S’il ne crée jamais la surprise, Moretti propose un récit d’une grande douceur à la mélancolie sourde. Les moments de pure comédie alternent avec d’autres, plus graves, mais jamais dans le pathos, le tout avançant à petits pas vers l’issue que l’on connaît, les dernières scènes superbes, les deux derniers plans magnifiques.
Au cœur du sentiment d’effondrement, un personnage de mère qui n’est pas seulement mère mais aussi enseignante. Le vrai sujet du film est la transmission. C’est d’abord et surtout la transmission du savoir. La mère enseignait le latin, sa fille en impose l’étude à sa propre fille, convaincue de son utilité même si elle n’arrive plus à la définir. C’est aussi la transmission d’un mode de vie, d’un regard sur le monde, d’un comportement (manger, lire, boire, rire), un héritage qui vaut tous les biens.
Margherita, le personnage principal, est cinéaste. Margherita, c’est Moretti, sa démarche de réalisateur, sa manière de mêler l’intime à la fiction et sa propre vie aux histoires qu’il raconte. Margherita sent le monde disparaître sous ses pieds, se raccroche à ses vieilles méthodes comme elle se raccroche à sa mère, refuse l’idée qu’elle meure.
Margherita Buy est magnifique, John Turturro très drôle, Nanni Moretti parfait comme toujours.
Dans le film, la cinéaste Margherita répète à ses comédiens qu’ils doivent se placer juste à côté de leur personnage. De la même manière, le récit de Mia madre se place en parallèle de l’histoire qui est racontée, comme en retrait, dans un espace mouvant entre le réel et l’imaginaire, un lieu protégé, les bras d’une mère qui pense à demain.
Pierre Guiho
Encore une fois, il va falloir m’expliquer cet étrange phénomène qu’est l’emballement critique, quasi unanime, autour d’un film médiocre et qui revient au moins une fois par an comme une vilaine gastro ou cette putain de dinde de Noël. Englouti de dithyrambes jusqu’à la lie de la lie, Mia madre s’affirme néanmoins comme le triste constat d’un cinéma débarrassé d’affect, de ferveur et de toutes perspectives cinématographiques. Il n’y a qu’à voir ne serait-ce que la caractérisation des personnages, d’une inconsistance et/ou d’une banalisation marquée : comédien forcément insupportable, frère irréprochable jusqu’à la transparence, ado gentillette, héroïne agaçante, sévère mais fragile…
Cela se ressent d’ailleurs jusque dans le jeu des acteurs : John Turturro grimace et cabotine, Margherita Buy peine à bouleverser malgré son air de pénitente dépressive avec ses yeux toujours embués, et même Nanni Moretti indiffère quand soudain on vient à le remarquer. Son laïus social n’est pas mieux loti, contrit d’un militantisme conformiste et petit bourgeois que l’on saisit à travers quelques bribes de dialogues et de situations simplistes sur le tournage du film de Margherita (rappelant ce discours bébête du patron de Sandra entendu dans Deux jours, une nuit des frères Dardenne et cette soupe tiédasse qu’on nous a servi dans La loi du marché).
Cette histoire d’une cinéaste débordée (dont l’appartement sera forcément inondé, ah ! la symbolique…) devant faire face à un tournage difficile et à la maladie de sa mère, s’étouffe dans sa propre insignifiance, vidée de substance, d’émotion, de caractère, de presque tout. Alternant machinalement les scènes entre plateau de cinéma, hôpital et appartement, la réalité aux rêves et aux flashbacks, Moretti cherche à dire aussi la part d’héritage qu’on laisse aux autres, ici sur trois générations, quand cette idée de transmission se résume pourtant à un cours de latin sur un coin de canapé ou un essai de scooter dont la trajectoire évoque la figure de l’infini (ah ! la re-symbolique…), sinon l’art de tourner en rond (parfaite ironie).
Certes, le film refuse impudeur et voyeurisme dès qu’il s’agit de montrer le dénuement de la maladie et la douleur des proches, mais ce refus s’accompagne d’une vision vieux jeu de la thématique du deuil, archi balisée dans son évolution qu’on anticipe sans efforts (visites à l’hôpital, changement d’unité de soins, oublis et troubles de mémoire, retour à la maison…). Pas émouvant ni vraiment drôle, Mia madre ne parvient jamais à s’extraire d’une sorte de naturalisme frustrant ne proposant qu’un morne état des choses, qu’un stricto sensu convenu, même dans ses rares embardées. Un film pour illico sensibles sachant, grâce à leur cœur gros comme ça, s’émouvoir d’un Moretti tourneboulé devant des renforts de coude ou d’une Buy écopant un couloir plein d’eau. Pour les autres en revanche, pour les sans cœur inaptes à ressentir quoi que ce soit, vous n’êtes vraiment que des… je cherche le mot… connards ? Abrutis ? Pisse-froids ?
Michael Pigé
Mia Madre
Film de Nanni Moretti
Avec Margherita Buy, John Turturro, Giulia Lazzarini…
Drame et comédie
Durée : 1 h 47 min
Sortie : 2 décembre 2015