[Interview] Kid Loco (2e partie) : « Avant, un DJ set c’était pour découvrir de la musique »

Suite et fin de notre passionnante conversation avec Kid Loco, où l’on devise – plus ou moins gaiement – sur la situation du Rock et de la musique en général, et de ce que l’avenir pourrait nous réserver !

Kid Loco © Dov Adjedj
Kid Loco © Dov Adjedj

(1ere partie de l’Interview)

Benzine : Si on revient un peu en arrière, à Bondage, il y avait un vrai engagement. Quand tu regardes l’état de la France aujourd’hui, politique, social, pourquoi à ton avis il n’y a pas un mouvement musical qui s’empare de ces sujets… ?

Kid Loco : Il y a eu le rap, et là ça reprend un peu. Il y a ce mec, un blanc, un Français, Orelsan, qui a fait l’Odeur de l’Essence. Je n’aime pas ce qu’il fait, mais tu écoutes les textes, et là… ouaouh ! Après, je ne suis pas du tout au courant de la musique en France, j’adore le hip hop, mais pas en France, c’est très trap… Le Rock je ne le suis pas du tout, mais en Angleterre, il y a des groupes qui ouvrent leur gueule, IDLES, Sleaford Mods… mais je ne sais pas s’il y a ça en France…

Benzine : Alors qu’il y a une scène Rock formidable en ce moment en France, peut-être la meilleure qu’il il n’y ait jamais eu, mais personne ne chante en français…

Kid Loco : Tu sais, moi j’ai toujours chanté en anglais. Il m’a fallu Noir Désir et Tostaky pour que j’apprécie vraiment un groupe qui chantait en français… J’ai fait Bondage, je me sens vraiment partie prenante dans l’histoire du Rock en France. Un jour, il y a un livre qui sorti avec tous les singles français, super exhaustif, les années 70-80-90, depuis les années punks : eh bien, dedans il y a des bons disques, mais il n’y a pas de Clash, il n’y a pas de Damned, pas de Sex Pistols ! Ce n’était pas au niveau ! Aujourd’hui, les gens ont appris ! Et la musique électronique a aidé : j’ai réalisé en faisant le DJ, en allant partout dans le monde (…sauf en Afrique), et j’ai réalisé qu’un Japonais fait la même musique qu’un Allemand, un Français, s’il a un sampler et qu’il veut faire du hip hop, ça sera la même chose, de la même qualité… Et puis maintenant, il y a des gamins ! Le fils d’un pote s’est mis à la guitare, en un an il jouait mieux que moi qui joue depuis 40 ans, avec les tutoriels qui sont disponibles… (rires)

Benzine : Le paradoxe est qu’alors que le Rock est marginalisé, il y a plus de gens pointus, de talent…

Kid Loco : C’est le principe des niches, c’est infernal, je crois qu’il y a entre 20 et 60.000 nouveaux titres qui sont uploadés chaque jour. Qu’est-ce que tu veux écouter ? J’écoute des trucs, je me dis « c’est vachement bien » ! Mais après je n’ai pas envie de réécouter. C’est difficile de rentrer dedans, dès que t’arrives sur le refrain, tu te rends compte que tu le connais déjà… J’étais passé par exemple à l’époque à côté du titre de Supergrass, Caught By the Fuzz, je l’écoute, je me dis : « Mais on est en 77, c’est les Adverts ». Le son est énorme, le mec chante super bien, mais je ne vais pas écouter Supergrass alors que j’écoutais The Adverts 20 ans plus tôt…

Benzine : Mais du coup, comment tu vois le futur, comment tu te projettes ?

Kid Loco : Bah, je ne me projette pas, j’ai 57 ans, je m’en fiche un peu, je n’écoute que des vieux trucs. Il y a 25 ans, quand j’ai commencé Kid Loco, je recevais tous les jours des promos, j’allais à Rough Trade tous les jeudis et à Londres une fois par mois pour acheter des disques. Là, je n’ai pas acheté un nouveau disque pour faire le DJ depuis 13 ans ! La musique électronique, quand ça a commencé, il n’y avait pas trop de trucs, tu savais ce qui se passait, tu pouvais écouter de la techno, de l’ambient, de la house, du trip hop… Maintenant il y a tellement de choses… J’ai fait cinq compiles de trip hop, à la fin je ne savais plus quoi mettre.

Benzine : Et le live ? ça reste pertinent pour la musique électronique ?

Kid Loco : Un DJ set, avant, c’était des gens qui étaient là pour découvrir de la musique. C’est devenu énorme, avec de gros festivals, avec des milliers de spectateurs, avec des cachets incroyables, les petits clubs n’ont pas pu suivre. Aujourd’hui, soit tu joues dans un gros festival où personne n’y voit rien, et où le mec sur scène fait semblant de tourner des boutons, soit il n’y a rien…
Je me souviens d’un festival à Bruxelles, alors qu’on tournait pour mon deuxième album. Tous les artistes étaient chauves, avaient des lunettes, un ordinateur où tu voyais la pomme, et puis c’était comme ça dans chacune des salles (rires)…
Mais d’une manière générale, la scène ça ne m’intéresse plus beaucoup. Pour moi, d’ailleurs, copier aujourd’hui Mick Jones en 77 alors que j’ai 57 ans, c’est un peu con… J’ai bien aimé les concerts en 78, j’ai vu les Clash, PIL, Siouxsie, tous les mois il y avait un truc incroyable !! Et Les Bérus, ça m’a foutu une claque, mais après, ce n’était plus ça : j’étais super fan de Massive Attack, mais en scène, ils ne font rien, ils ont des requins de studio qui jouent à leur place…

 

Kid Loco © Dov Adjedj
Kid Loco © Dov Adjedj

Benzine : Optimiste ou pessimiste quant à l’évolution de la musique ?

Kid Loco : On m’explique qu’aujourd’hui, c’est le marasme pour les musiciens, mais que ça va changer, que ça se met en place. Le streaming, même s’il faut faire beaucoup d’écoutes, ça vient. De toute façon les gens n’écoutent plus que comme ça, en streaming, des playlists…

Dans les années 80, on nous a vendu le CD en disant « c’est de la qualité ! », alors que ça ne l’était pas, ils ne savaient pas mastériser pour le format CD, c’était horrible. Aujourd’hui les gens écoutent de la musique avec une qualité épouvantable. Chez Bondage, on a fait des vinyles, puis des cassettes, qui représentaient jusqu’à la moitié des ventes des artistes. Le jour où on a sorti le premier CD, je crois que c’était les Bérus, on vendait 50% de CDs, 40% de vinyles et 10% de cassettes. Les CDs nous coutaient deux fois moins chers, on les vendait deux fois plus chers que les vinyles, et les majors – nous on ne le faisait pas… – payaient deux fois moins les artistes en justifiant que « c’était un nouveau support ». Les maisons de disques ont fait un fric incroyable qu’elles ont claqué à acheter du champagne, des voyages promos débiles, des vidéos à un million de francs, des choses comme ça. Aujourd’hui il n’y a plus de maison de disques, il n’y a plus d’argent, tu es obligé de faire ton disque tout seul, la vidéo, tu dois te débrouiller. Il faut s’appeler Jay Z et Beyoncé pour tourner au Louvre, sinon t’es un peu dans la merde !

Benzine : C’est quand même, du fait de l’absence d’argent, de l’absence de producteurs, un appauvrissement du produit fini…

Kid Loco : Moi j’en produis de temps en temps des albums (rires), mais après c’est difficile car c’est rarement dans un vrai studio, tu le fais à la maison ou dans ton home studio. Mais sinon, les gens, aujourd’hui ils copient très, très bien, donc ils vont faire des trucs corrects. Ça redevient du « do it yourself », l’état où on était dans les années 80. Bon, nous, on allait quand même en studio parce que c’était des groupes de Rock.
Mais je suis fan des albums, ça m’intéresse de comprendre pourquoi un album sonne comme ça, pourquoi c’est bien d’avoir un début, un milieu et une fin. Quand je fais des disques, je pense encore comme ça… alors que personne ne va l’écouter comme ça, en entier et dans l’ordre, mon album. Bon, peut-être les 100 pelés qui vont l’acheter (rires).

Propos recueillis par Eric Debarnot le 16 décembre 2021

Le nouvel album de Kid LocoBorn in the Sixties, sortira le 28 janvier 2022 !