RVG – Brain Worms : transformée en calmar géant !

Feral avait été l’un de nos gros coups de foudre de l’année 2020, et il nous a fallu attendre 3 ans pour en découvrir la suite : Brain Worms secoue un peu moins, mais confirme le talent de Romy Vagner et l’importance de RVG.

RVG - Photo : James Morris
RVG – Photo : James Morris

« I think I’m giving up / Enough is enough / You don’t want me » (Je crois que j’abandonne / Trop c’est trop / Tu ne veux pas de moi – Common Ground) : les premiers mots du troisième album de RVG (ex- Romy Vager Group) ne laissent planner aucun doute sur le sujet central de Brain Worms : les frustrations d’une vie amoureuse qui est loin d’apporter à Romy le bonheur espéré. Rien de moins original, penserez-vous à juste titre, mais Romy Vager est une parolière hors pair, et va nous transmettre son spleen amoureux d’une manière à chaque fois nouvelle, originale, et à travers des prismes bien différents : l’approche de l’impossibilité de l’amour est tour à tour émotionnelle, psychologique, voire délirante – comme ce voyage dans le temps / retour aux origines de Squid, la pièce maitresse de l’album –, et ce tourbillon de sentiments et de sensations que font naître les chansons de Brain Worms classe définitivement RVG comme un groupe à part.

BrainwormsMusicalement, comme c’était déjà le cas avec Feral, leur brillantissime second album, il est difficile de situer RVG sur l’échiquier musical, ou alors dans la même zone que celle occupée jadis par Concrete Blonde, un groupe au style tout aussi indéfinissable. Et c’est là sans doute le mieux que l’on puisse espérer d’un groupe des années 2020. Les fans des premières heures du groupe regretteront peut-être que le son de Brain Worms, enregistré à Londres, soit beaucoup plus poli que celui de ses prédécesseurs : qu’ils ne s’inquiètent pas pour autant, la voix de Romy Vager reste toujours aussi impressionnante.

Le mid tempo lyrique de Common Ground pourra évoquer les meilleurs moments du Placebo des origines, avec le chant de Romy qui monte rapidement vers un sommet d’émotion alors que guitares et synthétiseurs s’allient à la recherche d’une intensité qui reflète le mal être de la chanteuse. Midnight Sun accélère le rythme, Romy se fait plus agressive, même si le message d’amour est paradoxalement plus conciliant, sans doute l’effet de la canicule qui dévore la chanson comme elle écrase les sentiments : « I know / That talking to you just don’t work / But if you change your mind / I will be waiting for you to come home » (Je sais / Que te parler ne marche pas / Mais si tu changes d’avis / Je serai là à attendre que tu rentres à la maison). Une grande chanson…

It’s Not Easy rappelle l’importance de la musique des Go-Bteweens (voire de The Smiths) pour Romy Vager. Tambourine stupéfie avec son texte déchirant, évoquant l’enterrement d’un ami diffusé sur Internet pour cause de confinement : « I can’t hear the eulogy / The stream is bad quality / And I don’t wanna see you go / Through a tab on Google Chrome » (Je n’entends pas l’éloge funèbre / La connexion est de mauvaise qualité / Et je ne veux pas te voir partir / Via un onglet sur Google Chrome). Brain Worms est la seconde accélération de l’album, renvoyant à l’électricité nerveuse de la new wave britannique du début des années 80, mais vaut aussi par son image surréaliste des « vers de cerveau » dévorant la tête de la protagoniste : « I’m too old for this shit, I’m too old for this shit / I used to be a journalist / But now I’m yelling at my therapist / Cause the brain worms got into my head / And I can’t get them » (Je suis trop vieille pour cette merde, je suis trop vieille pour cette merde / J’étais journaliste / Mais maintenant je crie après mon thérapeute / Parce que les vers de cerveau sont entrés dans ma tête / Et je ne peux pas les attraper.)

You’re the Reason est le titre le plus radio-friendly de l’album : sur un tempo lent et dans une atmosphère caverneuse, se déploie une superbe mélodie, avec un refrain immédiatement séduisant, et un pont classique mais parfait : une sorte d’exemple du savoir-faire « classic rock » du groupe. On l’a déjà évoqué, Squid, avec son texte étonnant qui voit la protagoniste de la chanson transformée en calmar géant (« I stepped on an ancient fish / As I was walking on an ancient beach / I knew at once I’d done something wrong / My head, my body were completely gone / … / Don’t go back in time / It’s not worth it! » (J’ai marché sur un ancien poisson / Alors que je marchais sur une ancienne plage / J’ai tout de suite su que j’avais fait quelque chose de mal / Ma tête, mon corps étaient complètement partis / … / Ne remontez pas le temps / Ça n’en vaut pas la peine !) est sans doute le sommet du disque : urgence, rage, folie même, le meilleur de RVG, indiscutablement. Ce mélange très noir de désespoir et de dépression, porté par un riff répétitif, et culminant lorsque Romy psalmodie « I’m Under the Water » et nous entraîne à sa suite dans son enfer, est LA chanson à faire écouter en priorité à quiconque ne connaîtrait pas encore RVG.

Giant Snake peut évoquer le Patti Smith Group, une autre référence qui cristallise l’attrait puissant de la voix de Romy posée sur des guitares prêtes à galoper vers un horizon de liberté. Nothing Really Changes, obsédant, obsessif, est le second sommet de l’album : 4 minutes 42 secondes de plaisir rock’n’rollien parfait, à la fois reptilien, menaçant, sombre et extatique dans un décollage inattendu des synthés : « I keep on bursting into flames ! » (Je continue à m’enflammer). Et le « I don’t wanna Fight » final offre une conclusion parfaite à une autre grande chanson.

On regrettera d’abord que l’album se referme plutôt de manière sage, et classique, sur l’ambiance romantique de Tropic of Cancer, mais Romy avait certainement besoin d’écrire et de chanter cette chanson d’espoir, qui ouvre des pistes de reconstruction après avoir survécu autant de désastres.

Eric Debarnot

RVG – Brain Worms
Label : Fire Records
Date de parution : 2 juin 2023