Contrevents – Contrevents (EP) : « A l’origine fut la vitesse »

Maxime Ingrand et Paul Void offrent une bande-sonore au roman de Damasio, à l’incandescence de la planète et à l’angoisse de l’irréparable. Un EP dystopique à la lecture auditive fascinante.

Contrevents Alex Le Mouroux
© Alex Le Mouroux

Plusieurs raisons valables à l’examen attentif et passionné du projet « Contrevents ». La réunion, d’abord, du talentueux Maxime Ingrand de Lost In Kiev qui s’est encore illustré l’année dernière avec un album aux nombreux échos sur ce projet, et de Paul Void, à l’œuvre chez Stamp et Al Qasar. Ensuite, car parleront toujours les mots et les sons avant les noms : un appel au contre, à partir en quête de l’Amont, à retrouver le souvenir de la Horde d’Alain Damasio et de son fantastique roman. Voilà, en somme, les quelques arguments qui auront suffi à rendre ce projet trépidant.

Contrevents« A l’origine fut la vitesse », et le goût exquis pour l’expérimentation des deux amateurs de synthétiseurs mentionnés. On ne saurait que trop profiter de cette chronique pour recommander la lecture de l’ouvrage auquel l’EP fait référence, car s’il n’a sans doute pas tant été pensé en analogie qu’en clin d’œil à celui-ci, les correspondances établies entre l’exploration syntaxique, poétique et eschatologique d’Alain Damasio et les expérimentations soniques, sonores et transcendantes du duo en doublent les clés d’écoute.

Jouant de la célérité des ondes qu’ils tendent, distordent, compriment ou étendent à l’infini, Maxime Ingrand et Paul Void matérialisent la signature sonore d’une terre aride, désolée, qu’il faut traverser vaille que vaille, le pied accroché au gravas d’un sol ocre et le vent vrillant pleine face. C’est du moins le paysage qui se dessine à l’écoute de Magnetic Waves, un entrelac de pistes synthétiques flirtant entre ambient et electronica et avec les lois de la physique. Les chœurs célestes et auguraux de Dreamer’s Sleep font peser l’angoisse d’un monde flambant de l’intérieur et de l’extérieur, mais Contrevents ne condamne pas, il invite à la réflexion et laisse s’immiscer par-dessus les nappes opaques d’Eau-Forte les mots samplés qui nourrissent les pistes sibyllines d’Entrer dans la douleur. « Qu’est-ce qu’une vie bonne ? », c’est entre autres l’une des questions distillées par ces extraits et par les synthétiseurs qui les cueillent en poussant l’oreille, le regard et la pensée à dépasser la ligne d’horizon, non pas en quête, vaine, d’un point final, mais d’une vie honnête dans laquelle appréhender au mieux l’inéluctabilité du présent et l’assourdissement du silence qui retombe.

De sons amortis en vagues percussives, Contrevents offre un voyage initiatique à vitesse variable, dont Dislocation et ses derniers élans trip-hop ne proposent pas tant la conclusion que le premier rebond. Démiurges mais humbles sont les deux opérateurs de cette traversée qui, du son font naître la vision d’une terre promise en péril, celle-là même où se jaugent du regard rêves et éco-anxiété. Le duo, en somme, ne proclame pas une sentence, mais une incitation à se positionner en architecte d’une vie et d’une planète périssables. En tant qu’artisans du bruit, Maxime Ingrand et Paul Void façonnent ici une manière d’apprivoiser l’avenir par l’expression sonore de son appréhension.


Marion des Forts

Contrevents – Contrevents (EP)
Label : Sleepless Owl Records
Date de sortie : 16 février 2024