L’Institut de Stephen King : « J’ai choisi d’être heureux ! »

En brodant intelligemment sur une légende urbaine a priori convenue, Stephen King réussit avec l’Institut un récit éprouvant d’une terrible efficacité.

Stephen King
Stephen King © Eduardo Islas

Pour son roman annuel (eh oui, c’est qu’il est d’une productivité toujours aussi surprenante, notre « maître contemporain du fantastique »!), Stephen King fait le pari original de ne pas inventer totalement, pour une fois, une situation surnaturelle, horrifique ou policière, mais de nous offrir sa version personnelle d’une « légende urbaine » des plus banales qui soit, celle de l’enlèvement d’enfants par un organisme para-gouvernemental qui se livrera sur eux à de sinistres expériences. Et pourquoi pas ? On sait Stephen King capable de transcender à peu près n’importe quel poncif qui clouerait au sol un écrivain « ordinaire », c’est-à-dire moins doué que lui.

L'institut de Stephen KingEt le tour d’écrou donné ici à son sujet, avec une véritable originalité pour le coup, c’est d’imaginer que cet Institut sinistre, directement hérité des expérimentations conduites par les nazis dans les camps (avec des slogans comme « J’ai choisi d’être heureux » faisant écho au fameux « Arbeit macht frei »…), est lui aussi atteint, après des décennies de fonctionnement invisible, par l’entropie : matériel vieillissant, personnel négligent, et surtout usure morale – à force de tortures inhumaines infligées à des enfants – des bourreaux. Ce qui fait que, si les passages relatant les souffrances indicibles des enfants sont épouvantablement éprouvants – renvoyant par exemples, en pire sans doute encore, à celles de Paul Sheldon soumis au bon vouloir d’Annie Wilkes dans Misery – et font que le livre est déconseillé aux âmes sensibles, le récit arrive à échapper systématiquement aux clichés que l’on pourrait attendre de la situation de départ.

De plus, en transformant à mi-parcours son récit claustrophobique en course-poursuite avec double affrontement (quasi) final, King offre au lecteur une sorte de bouffée d’oxygène, et surtout un pic d’excitation qui faisait défaut à ses derniers ouvrages : des voix enthousiastes s’élèvent parmi les fans pour classer l’Institut parmi les meilleurs King, ce qui est sans doute exagéré, mais est la conséquence de l’impact profond que nombre de passages du livre auront sur le lecteur.

Au début du livre, on notera – et c’est inhabituel chez l’auteur – quelques personnages un peu trop rapidement esquissés (comme celui de la policière, pourtant importante dans le déroulement du récit, ou certains des enfants) -, et globalement un manque assez curieux de sentiments, alors qu’on connaît la capacité habituelle du « maître » à créer une empathie quasi surnaturelle avec ses personnages. Ici, la troupe d’enfants au centre du récit est loin de nous embarquer à ses côtés comme le faisaient leurs équivalents dans ça. Comme si, pour une fois, King avait sacrifié l’orfèvrerie fine de ses constructions psychologiques à l’efficacité de son récit.

On pourra également être surpris par un passage faisant quasiment l’apologie de la disponibilité (et de l’usage…) des armes au sein de la population, tranchant avec les positions politiques et morales habituelles de King (qui règle quand même son compte en quelques mots sanglants à Trump !).

Heureusement, la conclusion du livre, très conceptuelle, et faisant appel à la science des probabilités, est absolument magistrale d’intelligence (et de subtilité…) et permet de refermer l’Institut  avec une sentiment de profonde satisfaction.

Une fois de plus, Stephen King a réussi son coup. Pas sûr néanmoins que quiconque ose une adaptation en film ou en série d’un sujet aussi radical !

Eric Debarnot

L’Institut
Roman américain de Stephen King
Traduction : Jean Esch
Editeur : Albin Michel
600 pages – 24,90€
Parution : 29 janvier 2020